La Mosquée Hassan II (du nom du père du Souverain actuel) est édifiée à Casablanca sur la rive de l'Atlantique. Elle fut projetée par l'architecte français Michel Pinseau et inaugurée en 1993 quand Hassan II était encore vivant et sur son trône. Elle est composée de deux grands bâtiments (la mosquée et le minaret d'un côté, la médiathèque et les institutions culturelles de l'autre), séparés d'une énorme esplanade qui regarde comme une grande terrasse les ondes de l'Océan. Le minaret (172 mètres) est aussi un phare qui jette un rayon de lumière en direction de la Mecque. L'intérieur de la Mosquée peut héberger 20000 croyants, mais tout l'espace (de 90 000 mètres carrés) peut en accueillir jusqu'à 80 000. C'est un hymne à l'Islam, à sa puissance, à l'identité religieuse du peuple marocain et à l'homme qui en a prescrit la construction. Mais c'est aussi le symbole d'une ambivalence extraordinaire et, selon quelques observateurs, d'une hypocrisie géniale. Pour Hassan II, l'Islam fut avant tout un instrument politique. Pour maîtriser la gauche et unir le pays sous sa direction, le Roi fit de la religion la caractéristique fondamentale de la nation et prit le titre de « Commandeur des croyants ». Il n'était pas moins laïque ou plus croyant de ce qu'il avait été pendant la période où il attendait l'indépendance et son trône. Il était simplement convaincu que son jeune règne, né du protectorat français et du long moyen-âge des sultans alaouites, avait besoin, pour se consolider et durer, d'une légitimité religieuse. Mais il n'avait aucune intention de céder une partie de son pouvoir aux imams (les ministres du culte) et aux ouléma (les docteurs de la foi). Pour mieux les encadrer, il créa un Conseil supérieur des oulémas, accompagné de quelques conseils régionaux, et s'attribua la tâche de le présider. Il fit dans le contexte du monde musulman, en d'autres termes, une opération semblable à celle réalisée par Pierre le Grand, quand le Tsar abolit le patriarcat et créa le Synode de l'église orthodoxe. Il était né ainsi un Etat islamique où le Roi pouvait faire en sorte que ses réformes, souvent d'un caractère laïc, fussent approuvées par le clergé national. Tout est allé pour le mieux jusqu'au 11 septembre, quand le Maroc s'est trouvé à faire face à un Islam beaucoup plus radical et violent de celui que Hassan II, décédé en juillet 1999, avait trouvé dans les années précédentes. La longue guerre civile algérienne avait nourri de nombreux extrémistes et – à la frontière entre l'Algérie et le Maroc – il existait un Groupe salafite pour la prédication et le combat qui se serait transformé plus tard en Al Qaida dans le Maghreb. La guerre a éclaté à Casablanca le 16 mai 2003 par une série d'attentats suicidaires qui ont provoqué la mort de 45 personnes (12 terroristes et 33 civils) et s'est poursuivie depuis lors par quelques attentats sporadiques. De ces événements et de la manière dont Mohammed VI, fils de Hassan ii, a réagi à la menace, j'ai longuement parlé avec la jeune députée et ex-présidente de la Commission défense, affaires étrangères et affaires Islamiques de la Chambre des représentants. Mbarka Bouaida est née au Sahara espagnol, elle n'a pas encore accompli ses quarante ans, appartient au Rassemblement national des indépendants et – si je dois juger par la qualité de ses analyses et la vivacité de ses réactions, elle fera du chemin. Quand je lui demande quelles sont les compétences de la chambre dans les questions du culte, elle me signale un débat récent sur l'entretien des mosquées et ajoute tout de suite qu'il s'agit d'un problème politique. Dans les pays islamiques, tout bienfaiteur généreux peut financer la construction d'une mosquée et en devenir son « propriétaire-protecteur ». Cette coutume ancienne se prête à des infiltrations et des manipulations de la part d'Al Qaida ou de groupes chiites affiliés à Téhéran que le gouvernement est déterminé à éviter. Après les attentats de 2003, le Conseil supérieur des ouléma a donc accentué son contrôle sur les milieux religieux et renforcé l'encadrement du clergé. Pour le soustraire à toute influence externe il a été décidé d'attribuer aux Imams un salaire, de leur donner des cours de langue et de droit civil, de leur octroyer un statut qui ressemble à celui des fonctionnaires de l'Etat. Mais ce n'est pas suffisant. Pour éviter que les prières du vendredi deviennent l'occasion pour des discours incendiaires ou des invitations à la guerre sainte, le Conseil supérieur des ouléma envoie aux mosquées les grandes lignes et dans certains cas le texte intégral de ce que les Imams doivent dire. Et enfin, pour étendre l'influence du gouvernement à la diaspora des Marocains en Europe, il a été crée un Conseil des oulémas pour les émigrés. La conversation tombe sur les 400 000 Marocains résidents en Italie, sur l'édification d'une mosquée à Turin (où ils sont 30 000) et sur les cours de formations des imams proposés par Coreis, l'association des musulmans italiens. J'en profite pour dire à Madame Bouaida que le nouveau Conseil ferait mieux de s'occuper aussi des imams en Italie, surtout s'ils sont aidés financièrement par le Maroc. Pas tous, malheureusement, n'ont étudié les langues, le droit civil, la Constitution italienne. Le Maroc, ainsi, est un Etat islamique où l'organe religieux le plus important sert à contraster l'intégrisme et à avaliser des reformes, comme celle du droit de la famille, ayant un caractère laïc. C'est un pays où la presse est libre de lancer des campagnes pour les droits individuels et les homosexuels ont des chances de faire entendre leur voix. C'est une destination touristique où aucun imam ne peut empêcher à une femme de porter le bikini le plus succinct ou aux chrétiens de professer leur foi (il y a trois Eglises chrétiennes dans la capitale Rabat). L'Etat se proclame musulman, mais Ahmed Taoufik, Ministre du Culte, a dit au journal « La Vie Economique » que la fatwa (une opinion religieuse ayant valeur légale) ne peut pas concerner une matière régie par la loi : une façon pour dire, par exemple, qu'aucun imam, d'après le nouveau code de la famille, ne peut empêcher à une femme de se marier même contre la volonté de ses parents… A suivre.