En déambulant dans les ruelles du ksar d'Assa, notre Miloudi, laissant affleurer son âme de poète, regardait la lune à moitié ronde suspendue dans le firmament, comme tenue par une toile invisible où luisaient les étoiles et les satellites d'observation, de transmissions et d'espionnage. Marchant le nez en l'air, guidé par une musique qui venait du sommet de la colline, il repensait à certaines choses inculquées durant son enfance par ses parents et à l'école par des instituteurs dévoués. Perdu dans ses pensées, il ne vit pas Bibi, une vieille connaissance, marchant, ou plutôt titubant devant lui. Leur échange fut suffisamment bref pour ne pas casser le fil des pensées miloudiennes qui filaient comme les comètes dans le ciel noir. Depuis plus d'un demi-siècle qu'il fréquentait ses semblables, il n'avait pas encore réussi à intégrer le décalage entre certains discours, imprégnés de bon sens et l'action des dirigeants de la planète souvent teints de non sens. Comment, se disait-il, concilier l'évidence que le mode de consommation régi en droit absolu, soit impossible à tenir sans mettre en péril la planète et le manque de clairvoyance qui pousse chacun d'entre nous à se créer des besoins inutiles quitte à s'endetter, pour rester conforme à sa position sociale ? Comment, se disait-il encore, concilier les discours humanistes, les programmes d'aides internationaux et la fourniture, à tempérament, d'armements qui ne tueront que des innocents ? Comment, se disait-il toujours, élever ses enfants en fonction de ses convictions qu'il existe une frontière entre le bien et le mal, le bon et le mauvais, quand les codes changent avec une facilité déconcertante, quand la valeur de l'un est pesée selon son poids à la banque et quand l'absolution vient par l'argent. Comment, se disait-il enfin, continuer à vivre reclus derrière des frontières politiques quand nos voisins ne sont pas différents de nous et que les voisins de nos voisins ne sont pas différents entre eux et par transitivité pas différents de nous ? Il semblait à Miloudi qu'il lisait dans les lignes de l'horizon ces questions dont la réponse se perdait dans la profondeur du ciel. La musique était au détour de la rue et un poète chantait en hassani la sagesse de l'homme nomade qui savait vivre sans contraintes et sans s'alourdir. La réponse était peut-être là.