La passion amoureuse inspire les poètes depuis l'aube des temps. La définition que proposait Louis -Ferdinand Céline : « L'amour, c'est l'infini à la portée des caniches », si attrayante pour les cyniques, n'a heureusement découragé personne. Un superbe ouvrage qui vient de paraître aux éditions Marsam va raviver tous les feux du désir chez les bibliophiles. En effet, Le Jardin des Amoureux dont Fatéma Mernissi signe la présentation décline les 50 noms de l'amour d'Ibn Qayyim Al-Jawziyya, imam syrien qui écrivait au XIVe siècle. Les calligraphies de Mohamed Idali sont autant d'œuvres d'art que les peintures de Mohammed Bannour et Fatima Louardiri, et c'est vraiment aux prouesses du calligraphe que l'on doit l'émerveillement ressenti. Né en 1292-691, mort en 1350-751, Ibn Qayyim a « rassemblé et condensé, écrit Mernissi, les versets du Coran et les Hadiths du prophète concernant l'Adab, les stratégies éthiques du contrôle des émotions violentes qui explique le succès fulgurant de l'Islam. A commencer, souligne-t-elle, par le célèbre verset 34 de la sourate 41 (Fusilat) qu'on m'a apprise à l'école coranique à Fès à l'âge de 5 ans : Réponds à l'agression par la douceur et tu verras ton ennemi se transformer en allié protecteur. » Mernissi, lors d'une conférence à Manama, en 2009, se vit réclamer par un jeune auditeur de « transformer les 50 noms de l'amour que l'Imam Al-Jawziyya a rassemblés dans son Jardin des amoureux, en un jeu électronique ». L'Iranien Abbas et ses amis turcs et malaisiens ne voulaient pas seulement persuader la conférencière marocaine du potentiel trésor électronique caché dans Le Jardin des amoureux : ils voulaient que se répandent les 50 noms de l'amour comme autant de voies vers la connaissance de soi, voire l'autothérapie. Les calligraphies de Mohamed Idali sont splendides : les couleurs sont éruptives et les lettres semblent s'exercer à voltiger. Les peintures de Fatima Louardiri illustrent la ferveur du désir avec un vrai sens plastique : l'image qu'elle concocte a toujours quelque chose de vibrant, de tactile et elle semble offrir aux nerfs et à la peau un asile bariolé où l'apaisement souffle comme une brise. Comme l'était déjà feu Ahmed Louardiri, ce jardinier devenu peintre et qui avait le don d'enchanter le réel, Fatima n'a de cesse de répandre un parterre de fleurs autour des amants réunis. Elle illustre en premier Al Mahabba : l'affection, la tendresse attentionnée, l'amour constant, en montrant un couple enamouré paisiblement. La calligraphie de Mohamed Idali offre en regard l'image d'un brasier d'affects. La liaison Al'alâqa, telle que suggérée sous le pinceau de Mohamed Bannour semble tenir d'une alliance provisoire entre deux totems. La calligraphie d'Idali, en regard, déploie un étendard échevelé. Al hawâ, c'est tomber amoureux, tomber dans le piège du désir, la racine al huwiyu signifiant précipice. Assabwa peut se dire aussi al-sibi : les deux termes se réfèrent à l'ardeur du désir. Vous aurez remarqué qu'il s'agit seulement du quatrième des noms de l'amour. Tandis que Fatima Louardiri en peint une vision d'une parfaite tranquillité en montrant un couple illustrant tout à fait l'expression « conter fleurette», l'interprétation d'Idali est comme toujours aussi élégante que vigoureuse et il fait ruisseler le mot Assabwa comme si aimer consistait à faire pleuvoir les lettres de l'alphabet. Voici assabâba qui est la passion ardente. Mohammed Bannour l'exprime en intimant à des contorsions géométriques de s'apparenter à des personnes qui connaîtraient donc sous nos yeux l'effervescence des sentiments amoureux. Le calligraphe, lui, maintient son choix d'une palette où rivalisent l'ocre et le miel, mais on n'a pas oublié le tourment du carmin dans son évocation du piège du désir. Quel humour tonique dans son illustration d'Achaghaf, l'engouement. Les lettres dansent comme autant d'oriflammes. L'affection, l'attachement profond Al Miqua est suivi, d'Al wajd qui dit la véhémence de l'amour. La magie de ces illustrations persiste et se renforce avec non moins de véhémence, sans tristesse ni mélancolie, pour le lecteur qui a le privilège de constater les infinies ressources d'inventivité et d'élégance de la calligraphie, un art qui se révèle pour qui possède quelque imagination aussi suggestif que les estampes japonaises. Quand à Al Kalaf, neuvième nom de l'amour, c'est l'épreuve, l'attachement excessif : Idali devient tachiste tandis que Fatima Louardiri peint un amoureux insistant en musique tandis que la belle s'en détourne. Quand vous aurez atteint la page où s'étend le dixième nom de l'amour : Al tatayyum, vous ne serez parvenu qu'au cinquième de votre lecture émerveillée, promenade dans le jardin des couleurs et des lettres, où s'embrasent candeurs et roueries, allégresse et stupeurs dans la mise en gerbe des élans du cœur et du corps. On doit a Fatima-Zahra Zryouil la traduction arabe du texte de Mernissi tandis qu'Abdelkarim Kasri, Touria Ikbal et Rachid Chraïbi ont participé à la traduction en français des textes d'Ibn Qayyim al-Jawaziyya. Ce Jardin des amoureux est sans doute le plus beau volume illustré jamais publié au Maroc en mariant l'arabe et le français.