« Lorsque la liste des femmes a été imposée aux partis politiques en tant qu'instrument de discrimination positive, l'un des objectifs escomptés a été de garantir à la femme son droit politique et surtout d'inculquer la culture de la démocratie. Mais, est-ce que les partis l'ont utilisé avec cette logique pédagogique et démocratique ? ». Lahbib Choubani, ministre chargé des Relations avec le Parlement et la société civile, ne cherche pas une réponse à sa question, mais compte bien prouver qu'entre démocratie interne et partis politiques, l'écart se creuse encore et toujours. Changer avant de revendiquer « Cet instrument de discrimination positive a cédé la place au clientélisme et a dévié sa trajectoire (…) Il suffit de jeter un coup d'œil sur la liste des femmes au Parlement pour le constater », déclare-t-il, ajoutant que l'opération de candidature pour les valises ministérielles apporte un second exemple éloquent de l'absence de démocratie interne. « Il y a une grande insuffisance à ce niveau. La bataille pour les valises ministérielles s'est faite en dehors de tout principe démocratique (…) Des partis n'ont même pas de critère de sélection », s'indigne ce ministre portant les couleurs du PJD, unique parti à avoir fait l'exception, puisqu'il est doté d'un règlement interne et de procédures à cette fin. Pour Lahbib Choubani, il y a urgence, celle d'ouvrir un chantier démocratique : la bonne gouvernance au sein des partis. Son appel, le ministre l'a lancé à l'ouverture d'une rencontre nationale « Partis politiques et démocratie », organisée vendredi 24 février à Rabat, à l'initiative de l'Université Mohammed V-Agdal en partenariat avec la Fondation allemande Konrad Adenauer. Le ministre a convié son assistance, composée d'académiciens, à jouer un rôle constructif à l'élaboration de ce projet. Crise des partis Il est, en effet, question d'assimiler le changement pour ensuite adhérer à la transition. « Une chose est sûre : il n'y a pas de démocratie sans partis politiques et il n'y a pas de démocratie sans démocrates », affirme l'universitaire Mohamed Hanine, également président de la commission de la législation et des droits de l'Homme à la Chambre des représentants. Rappelant les larges attributions qu'offre la nouvelle Constitution aux partis et sa contribution à leur permettre une meilleure gestion interne par l'interdiction notamment de la transhumance et par la promotion de la présence des jeunes et des femmes, Mohamed Hanine s'interroge : « Les partis sont-ils capables de relever les défis de la Constitution ? ». Pour l'universitaire, il est légitime d'en douter : « Au sein des partis, il n'y a pas de démocratie interne. Nous le constatons à travers le vieillissement des leaders, l'élargissement du cercle partisan aux proches uniquement et la constitution de réseaux d'intérêts personnels ». Hanine dénonce un réel business masqué sous l'étiquette du parti politique et se dit indigné de réaliser que les sièges régionaux de certains restent fermés jusqu'aux campagnes électorales. Des dysfonctionnements qui, pour Mohamed Hanine, extirpent toute crédibilité aux partis acculés à céder leur rôle à la société civile. «Aujourd'hui, les citoyens n'assimilent pas le fait qu'une majorité gouvernementale soit représentée de partis allant de l'extrême gauche à l'extrême droite et une opposition aussi hétérogène. C'est une situation inacceptable dans le contexte de l'adoption d'une nouvelle Constitution», martèle-t-il. Une loi mais pas de crédibilité Le militant de gauche et chercheur, Mohammed Sassi, a brillé, au cours de la seconde séance de la rencontre nationale. Il a procédé à une évaluation de la démocratie au sein des partis au cours de la décennie écoulée. « Après 2006, nous avons senti un réel progrès au sein des partis politiques. La loi organique relative aux partis politiques impose une organisation et surtout des procédures tant attendues se rapportant au mode de candidature et au contrôle », estime-t-il. Pour Sassi, les partis composés par les élites n'ont plus d'autre choix que de subir de plein fouet le vent de la démocratie. «Le problème qui se pose, à présent, c'est l'adhésion d'élites aux partis de gauche portant atteinte à sa gestion et à son organisation de militants », précise-t-il, ajoutant que la problématique de la démocratie interne reste intimement liée à l'opération des élections et à la participation gouvernementale. En observateur avéré, Sassi en tire cette conclusion : « Au moment où la démocratie interne des partis a connu une évolution, leur crédibilité a chuté ». Aourid, le géo-politicien Sa présence à la rencontre nationale « Partis politiques et démocratie » n'est pas passée inaperçue. Le chercheur et écrivain, Hassan Aourid, a partagé avec l'assistance son analyse sur l'impact des facteurs géostratégiques dans l'évolution des partis politiques. « La démocratie tant chantée, tant vantée et mise en examen dans son propre berceau, l'Occident », rappelle-t-il, citant en référence le livre de Guy Hermet « L'hiver de la démocratie ». Et d'ajouter, dans son analyse, que le multipartisme dans le monde arabe a constitué « juste une façade qui dissimulait l'existence d'une seule force politique dominante, loin de toute démocratie ». Hassan Aourid soutient que le schéma de l'exercice politique a pris pour base un rapport conflictuel opposant le parti politique d'abord au colonialisme, puis au Makhzen. Ensuite, c'est la tendance de gauche qui a commencé à faire du bruit revendiquant une justice sociale. Mais au fil du temps, l'idéologie et la réalité ont fini par creuser un fossé. Et c'est là où dans « la pièce de la démocratie », pour reprendre les propos de Hassan Aourid, qu'un nouvel acteur s'est imposé : le peuple. La volonté populaire a acquis sa pertinence, mais il existe encore un gros problème, celui du brouillard politique, car « l'éclectisme politique ne participe pas à éclaircir le champ politique ».