Fantasmagorique, surréaliste et d'un imaginaire sans limite, le cinéma de Terry Gilliam est un spectacle qui laisse pantois. Le Festival international du film de Marrakech a rendu un fervent hommage à ce réalisateur fascinant. Terry Gilliam est l'enfant terrible du cinéma fantastique. Féru de dessins, ce diplômé en sciences politiques incarne l'inventivité subversive. Cinéaste autodidacte, il a basculé imperceptiblement dans le monde du 7e art, armé d'une créativité abondante. Enfant, il vivait à la campagne, non loin d'un lac et d'une forêt, et transformait la nature et les objets qui l'entouraient en de curieux dessins. Il griffonnait des croquis étranges et des personnages atypiques. « Je me souviens être tombé malade pendant une longue période. J'ai été atteint d'une sorte de fièvre intense, et c'est là que mon imagination s'est exacerbée. C'est sans doute cette maladie qui a saboté mon cerveau. Voilà pourquoi je suis ici », a-t-il déclaré, en riant. Et d'enchaîner : « Si nous arrivions à conserver l'imagination débordante propre à notre enfance, nous serions tous de formidables metteurs en scène. » Jeune, il a été marqué par Les sentiers de la gloire de Stanley Kubrik. « Ce film m'a montré l'injustice et l'iniquité, et m'a ouvert les yeux sur les ambiguïtés de ce monde », nous a-t-il confié. Adulte, il s'est imprégné des grands cinéastes comme Bunuel, Bergman, Fellini et Kurosawa, qui ont « l'immense talent de véhiculer des expressions uniques et individuelles du monde ». C'est par la grande porte que Terry Gilliam est entré dans la matrice cinématographique. Son cinéma est grandiose, cynique, distordu et incroyablement stylisé. Un cinéma qui fustige, conteste et s'indigne et nous entraîne dans des images fantaisistes à outrance, où la dérision « réfléchie » se mêle magnifiquement à l'esthétique folle. Tout a commencé avec le succès fulgurant des Monty Python. Exorciser les cauchemars Puis ont suivi ses chefs-d'œuvre : Les Aventures du baron de Münchausen, L'armée des douze singes, Le Roi pêcheur ou Fisher King, Las Vegas Parano, les Frères Grimm, Tideland et l'Imaginarium du Docteur Parnassius, et d'autres… Un palmarès sans compromis, où Terry Gilliam porte un regard tentaculaire sur ce monde en perdition. « J'exorcise les cauchemars que m'inspire ce monde, et je les exécute tels que je les vis dans ma tête. Mes films sont des actes politiques, mais c'est toujours le côté fun qui prime ». La psychiatrie, l'ésotérisme, la drogue, l'enfance, la religion, la société de consommation, la pauvreté, la politique… tout y passe dans son cinéma. Tout est disséqué, décortiqué et magnifiquement sublimé. à titre exemple, dans Brazil, fable d'anticipation burlesque et conte cauchemardesque, qui rappelle 1984 de Georges Orwell, ou dans L'armée des douze singes, œuvre de science fiction visionnaire et surréaliste, les scènes de torture sont légion. Dans Brothers Grimm, il réitère son penchant pour la torture, en filmant une scène violente avec Monica Belluci. « Je pense que je suis fasciné par la torture (rires), tout comme je suis fasciné par les miroirs. Les miroirs reflètent le monde sans toutefois le refléter avec précision, et c'est ce que je montre dans L'imaginaire du Dr Parnassius. » Un prisme déformant Terry Gilliam n'aime ni s'ennuyer ni ennuyer son public. « J'aime les surprises pendant les tournages. Quand on travaille sur un film pendant longtemps, le travail devient rigide et mécanique, et les surprises rendent les choses plus fraîches. Par exemple, j'aime quand mes acteurs me surprennent. C'est ainsi que j'ai convaincu Bruce Willis de se débarrasser de ses tics. Et il l'a fait ! Certaines scènes charnières du film passent à travers son regard. » Truffé d'abstraction et d'étrangeté, son style cinématographique est particulier. « J'utilise les lentilles grand angle pour focaliser plus sur le monde, tout en l'élargissant, pour le mettre en relief tout en le déformant. J'ai une préférence également pour les longues focales qui contrôlent l'audience et grâce auxquelles je peux montrer au public exactement ce que je veux. J'ai tendance aussi à choisir des décors improbables, comme dans Brazil dont le tournage a eu lieu dans un bâtiment insolite, sorte d'usine victorienne qui sert à broyer les fleurs. Les machines étaient toutes en bois, nous les avons repeintes et retapées. Les corridors s'entrecroisaient et étaient comme suspendus. C'était réellement dangereux mais amusant. » Le plaisir de bousculer l'ordre établi, voilà qui résume tout.