Militant pour la paix installé à Hébron, Ahmad Jaradat décrit le dur quotidien des habitants de cette ville divisée en deux zones. Bien que le processus de paix soit gelé, il évoque dans cet entretien l'espoir d'une évolution de la situation, suite au Printemps arabe et à la sensibilisation d'une partie de l'opinion publique. Blouson usé sur les épaules et cigarette à la main, Ahmad Jaradat (photo) nous raconte la vie des habitants de Hébron, ville symbole du conflit israélo-palestinien. Le sens de l'engagement est perceptible dans sa voix et dans ses yeux qui ne quittent pas leur interlocuteur. Comme Michel Warchawski, Ahmad Jaradat fait partie de ces inlassables militants pour la paix de l'AIC (Alternative Information Center), un organe d'information israélo-palestinien qui promeut les droits de l'Homme, animé par l'espoir d'une paix juste. Entretien. Vous habitez à Hébron, en Cisjordanie. À l'instar de Jérusalem, il s'agit d'une ville qui cristallise le conflit israélo-palestinien… Oui, sauf qu'à Hébron, la division de la ville est physique. Pour rappel, Hébron est la plus grande ville de la Cisjordanie, avec 700 000 personnes qui vivent dans le district et 150 000 dans la ville même. Hébron est la seule ville au monde divisée en deux zones, conformément au Protocole de Hébron, qui fait parti des Accords d'Oslo. Hébron 1 (H1) est sous l'autorité palestinienne, tandis que Hébron 2 (H2) est sous autorité israélienne. À l'instar de Jérusalem-Est, qui est une zone occupée, la particularité d'Hébron réside dans l'existence de colonies dans la partie palestinienne. Dans ce contexte, à quoi ressemble le quotidien des palestiniens installés dans cette ville ? L'existence des 5 colonies crée de nombreux problèmes, difficultés et restrictions pour les Palestiniens. Selon les données israéliennes, ils sont environ 500 colons installés un peu partout dans la ville. Ces colons commettent de nombreuses violations des droits de l'Homme envers les Palestiniens. Des règles spéciales ont été instaurées pour les Juifs. Ainsi, certains Palestiniens ne peuvent pas rendre visite à leurs proches qui ne vivent pourtant qu'à quelques mètres, en raison des zones imposées et des checkpoints militaires. Autre exemple, le vieux centre ville, où se trouvent la mosquée et la zone industrielle, a été fortement impacté par la politique israélienne. Ils ont donné l'ordre en 1999 de fermer les magasins. En 2002, 1200 magasins étaient fermés. Avec les 2.000 soldats stationnés dans cette zone, le vieux centre ville a des airs de base militaire. À Hébron, nous vivons une véritable situation d'apartheid. Avec des règles spéciales pour les Juifs, la division de la ville, et des violations des droits, Hébron est un bon exemple de la situation en Cisjordanie. L'autorité palestinienne a déposé devant les Nations Unies une demande de reconnaissance d'un Etat de Palestine qui n'a pas abouti. Comment cette initiative a-t-elle été perçue par les Palestiniens ? La demande de reconnaissance à l'ONU représentait pour nous une manière de faire avancer la question palestinienne. Comme l'a montré la reconnaissance à l'UNESCO, la plupart des pays reconnaissent la Palestine. Le problème, c'est que le processus de paix est gelé. D'importantes questions restent en suspens : quelle est la légitimité de la OLP (Organisation de Libération de la Palestine) ? Que faire des droits des réfugiés palestiniens ? Quelles sont les frontières de l'Etat ? Et si nous avons un jour un Etat, les Palestiniens sous occupation auront-ils encore le droit de se battre ? Ou devrons-ils cesser toute lutte ? Le discours de Mahmoud Abbas n'a pas évoqué cette question de la résistance des Palestiniens à l'occupation. Or, c'est normal que le peuple palestinien résiste à l'occupation. Suite aux mouvements de contestation, la région connaît actuellement d'importants bouleversements. Quel sera l'impact du Printemps arabe sur la question palestinienne ? Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a pas de processus de paix actuellement. Mahmoud Abbas et Saeb Erakat l'ont confirmé. Aujourd'hui, nous avons quatre espoirs. Le premier réside dans notre peuple. Les Palestiniens sont un peuple qui connait le chemin de la liberté. Deuxièmement, ce qui se passe dans la région va impacter la question palestinienne. La situation en Egypte aura une influence sur Gaza par exemple. Nous avons également un grand espoir concernant la communauté internationale. L'opinion publique est de plus en plus sensible à l'occupation. La question palestinienne doit devenir une question de principe, de justice. Et enfin, nous espérons que certains groupes d'Israéliens changent de point de vue. Comment voyez-vous la résolution du conflit israélo-palestinien ? Selon moi, il est impossible d'avoir deux Etats. Le pays est trop petit et les colonies sont trop ancrées pour que cela soit possible. De plus, si deux Etats sont formés, la lutte continuerait car la base de chaque Etat serait une base religieuse. La seule solution est d'arrêter l'esprit de la colonisation en cours, de réaffirmer les droits des Palestiniens et surtout, de construire une paix réelle entre les deux peuples. Tout cela dans un contexte démocratique.