Une légère explosion a résonné hier dans les rues de Casablanca, faisant sursauter au moins trois personnes. Non, ce n'est pas un attentat, nous sommes simplement le 10 Moharrem 1433… et Achoura est de retour ! « Imaginez un peu si j'étais enceinte ! C'est très dangereux d'effrayer les gens ainsi. Il faut qu'une loi règle cette question », s'indigne Fatiha, vendeuse de menthe à Casablanca. Le plus intriguant, c'est que les auteurs de ce méfait sont de jeunes enfants, âgés de 8 à 15 ans, et cela semble inquiéter Rachid, enseignant dans un établissement public : « Je trouve cela scandaleux de mettre entre les mains d'un enfant de tels explosifs. Hier, j'ai dû suspendre mes cours car un crétin a lancé un pétard dans ma classe. » Une aubaine pour les marchands de jouets En plus d'être une fête religieuse et l'occasion pour les petits de faire beaucoup de blagues en toute impunité, Achoura est aussi une aubaine pour les marchands de jouets. D'ailleurs, ce jour-là, si l'on se rend dans les quartiers populaires de Casablanca comme Hay Mohammedi, Derb Soltane ou encore Hay Hassani, le constat est vite fait : hormis les nombreux vendeurs ambulants de jouets en tout genre, il y a d'autres enfants plus jeunes qui, à la manière des dealers, proposent aux passants des pétards et autres artifices. Un recensement du service d'ophtalmologie pédiatrique du CHU d'Ibn Rochd parle de près de 40 % d'accidents oculaires dus aux explosifs de Achoura. Les bambins, accompagnés de leurs parents ou même seuls, sont nombreux à se presser vers eux. « Nous les achetons auprès de fournisseurs espagnols, algériens mais aussi chinois. Il est interdit de vendre ces pétards, fusées ou mini-bombes. Alors nous les vendons sous le manteau, comme les cigarettes au détail », nous explique Simo, l'un des vendeurs clandestins. Parmi les noms de marque qu'on peut trouver sur le marché, on peut citer Granada, Mich, Cigare, Tiyara (toupie), et même Zidane ou Messi ! Le prix incitatif de ces jeux dangereux varie entre 25 et 80 DH. Dispositif de sécurité insuffisant Côté sécurité, plusieurs acteurs associatifs fournissent chaque année de gros efforts pour s'assurer que tout se passe bien. Cependant, les familles marocaines, soucieuses de la sécurité de leur progéniture durant cette journée « kamikaze », semblent assez dubitatives et se demandent si c'est bien assez. Selon l'Association marocaine de protection et d'orientation du consommateur (AMPOC) : « Il faut que le ministère de la Santé et du commerce veille à protéger le consommateur de ces jouets toxiques ». Cette même association pointe du doigt une nocivité des jouets en vente et rejette la responsabilité sur les citoyens qui doivent faire évoluer leurs habitudes de consommation, en évitant les marchands ambulants non reconnus. Autre mise en garde qui vient cette fois du Centre anti-poison et de pharmacovigilance marocain : « N'achetez pas les tapis-puzzle en caoutchouc car ils contiennent des produits chimiques, toxiques et cancérigènes. » Des cas d'irritations ont d'ailleurs déjà été signalés. Un recensement du service d'ophtalmologie pédiatrique du CHU d'Ibn Rochd parle de près de 40 % d'accidents oculaires dus aux explosifs de Achoura. Sans oublier qu'en dehors du problème de santé physique en jeu à cette occasion, la sécurité morale des gens est aussi menacée. Si Achoura est pour les Chiites le jour commémoratif du martyre Houssein, fils cadet de l'Imam Ali, cette fête prend chez certaines familles une dimension occulte. « Les marchands d'épices préparent, mélangent et vendent de l'encens pour réaliser des rites de sorcellerie propres à ce jour, considéré propice au paranormal », nous explique un enseignant. Aussi est-il important, en cette journée « explosive », de sensibiliser et responsabiliser les esprits les plus naïfs.