Fortement inspiré des idées de Carl Gustav Jung, Persona est tiré d'un concept signifiant que « la part de la personnalité qui organise le rapport de l'individu à la société, la façon dont chacun doit plus ou moins se couler dans un personnage socialement prédéfini afin de tenir son rôle social […] Le moi peut facilement s'identifier à la persona, conduisant l'individu à se prendre pour celui qu'il est aux yeux des autres et à ne plus savoir qui il est réellement. » En latin, persona signifie le masque. Celui que les comédiens portaient dans les tragédies antiques. C'est sur un lit d'hôpital, où il séjourne en raison d'une double pneumonie, que Bergman imagine en plein délire les premières images de Persona. Coupé du monde extérieur avec lequel il refuse tout contact, le cinéaste se retire dans le silence et sombre dans ses dérives mentales. L'univers hospitalier et les visages des actrices Liv Ullmann et Bibi Andersson se confondant… S'inspirant des visions de ces instants, Bergman écrit le scénario en deux semaines, et quitte l'hôpital pour s'attaquer au tournage une semaine après. Bergman dira plus tard que Persona est le film qui lui a sauvé la vie et une tension palpable, une force réelle le traversent de bout en bout et contribuent à en faire une œuvre sublime, à la beauté formelle éblouissante. Une célèbre actrice, Elisabet Vogler, est frappée de mutisme sur scène pendant une représentation d'Electre. Son silence se poursuit au delà et elle se retrouve dans une clinique pour être soignée. Son médecin l'envoie ensuite se reposer sur l'île de Fàrö, en compagnie d'Alma, sa jeune infirmière. Les deux femmes se lient d'amitié et Alma, aussi intarissable que sa patiente est mutique, confie à l'actrice des épisodes de sa vie intime, à l'occasion de promenades et de veillées nocturnes. Alma découvre alors une lettre qu'Elisabet a écrite à son médecin, où elle lui fait part des confidences de l'infirmière sur un ton condescendant. Cette découverte va provoquer une crise relationnelle profonde entre elles… Bergman nous parle directement, viscéralement, de souffrance, de trahison, de jalousie, mais aussi de désir et d'amour fou. Bibi Andersson campe une infirmière toute dévouée à sa patiente en souffrance. Une figure douce qui signifie le salut et le retour probable à une forme de sérénité. Du moins en apparence… Elle est aussi intarissable en paroles et en émotions délivrées que le personnage de Liv Ullmann est froid, silencieux et fermé au monde, n'en pouvant plus de supporter le mensonge et le masque social. Bergman a déclaré : « Je sens aujourd'hui que dans Persona je suis arrivé aussi loin que je peux aller. Et que j'ai touché là, en toute liberté, à des secrets sans mots que seul le cinéma peut découvrir ». Film avant tout visuel, Persona déploie des prodiges de mise en scène et la photographie en noir et blanc signée Sven Nykvist atteint ici son apogée. Le travail sur les visages des actrices y est tout simplement admirable. La richesse et la complexité des thèmes abordés, l'ampleur formelle et les interprétations des actrices contribuent à faire de Persona l'une des œuvres les plus brillantes de Bergman. Probablement aussi l'un des plus influentes. De David Lynch à Woody Allen, Persona a marqué le travail de nombreux admirateurs du maître suédois.