Avec une illiquidité du marché bancaire, des investissements directs étrangers en baisse, l'ouverture à la finance islamique est considérée, plus que jamais, comme une solution alternative. Pour attirer les non-bancarisés mais surtout pour drainer les investissements arabes qui peinent à décoller sur le marché marocain. Les chiffres agrégés de la finance islamique déconcertent plus d'un : elle génère dans le monde plus de 1000 milliards de dollars par an et affiche une croissance de 10 %, même durant la période de crise en 2008. Toutefois, les disparités et les écarts entre les pays qui la pratiquent sont très étendus, relate le dernier rapport de la Banque africaine de développement (BAD), sur la finance islamique en Afrique du Nord. Au Maroc, aucune banque islamique n'est implantée et bien «que la Banque islamique de développement et Bank Al-Maghrib aient organisé une conférence sur la finance islamique à Casablanca en 1990, aucune banque islamique locale n'a émergé comme cela s'était produit lors d'événements similaires lancés ailleurs dans le monde islamique », souligne le rapport de la BAD. Mais pourquoi ce manque d'enthousiasme face à une finance qui a fait ses preuves, lors de la dernière crise financière, poussant les pays occidentaux à la privilégier au détriment de la finance traditionnelle ? Pour Belkacem Boutayeb, expert consultant MENA/Afrique, ex- directeur au groupe internationale Dar Al-Maal Al-Islami, « la frilosité du lobby bancaire marocain, solidement structuré et s'ouvrant de plus en plus à l'international, semble constituer des zones de blocage au niveau des autorités monétaires, bancaires et financières pour retarder cette ouverture ». Avant d'ajouter que des études, faites depuis le début des années 1980, auraient clairement indiqué que l'émergence de banques islamiques drainerait un exode sensible des transactions bancaires et de la masse des dépôts vers ces institutions. Or le système de la finance islamique est le plus adapté aux PME et PMI qui trouvent des difficultés à se financer auprès du système bancaire traditionnel. Une alternative Certes, quelques offres ont été mises en place mais n'ont pas connu l'engouement qu'elles méritent. « Dès le départ, on les a fortement taxées à l'entrée et à la sortie, ce qui les rendait plus prohibitives que les produits traditionnels. De même, aucune compagne d'information n'a été lancée pour encourager leur émergence », précise Boutayeb. La dernière tentative est la création récente de Dar Assafaa par Attijariwafa bank, organisation spécialisée dans le financement alternatif basé sur la « mourabaha », mais ne répondant pas aux normes islamiques de refinancement, car elle se refinance auprès de la société mère qui demeure une banque traditionnelle. Hormis l'absence de produits bancaires destinés aux particuliers comme aux entreprises, le rapport de la BAD souligne aussi l'absence de fonds d'investissement islamiques à l'image de ceux qui prolifèrent en Malaisie et dans les pays du Golfe, non seulement au Maroc mais aussi dans toute l'Afrique du Nord, à l'exception de l'Egypte. Une absence que la banque africaine explique par la jeunesse de la private equity dans la région. Les seuls produits financiers islamiques auxquels recourt le Maroc, sont les financements proposés par la Banque islamique de développement. Le Maroc y figure en pole position avec 57 projets financés entre 1976 et 2009 pour un montant global de 2,6 milliards dinars islamiques, soit 33,3 milliards DH. « Ces financements ne sont pas significatifs, car ils émanent d'une structure non privée, qui se refinance par le biais des cotisations de ses membres », précise Boutayeb. Face à la conjoncture actuelle, notamment l'illiquidité du marché bancaire qui devient quasi structurelle, et la baisse des investissements directs étrangers, l'économie a plus que jamais besoin d'un nouveau souffle. L'ouverture du marché à la finance islamique permettrait non seulement d'attirer des banques islamiques mais aussi des investissements arabes et islamiques. «Le directeur général de Casablanca Finance City avait annoncé que la future place financière est prédisposée à accueillir des institutions financières islamiques. Mais en l'absence de modifications et d'amendements de la loi bancaire, nous présumons qu'il faisait référence à des implantations offshore ne pouvant contracter avec les entreprises marocaines», constate Boutayeb. Des banques islamiques offshore Avant d'ajouter qu'il faut que l'Etat affiche clairement sa volonté d'élargir le paysage financier dans le cadre libéral pour intégrer la finance islamique. «D'ailleurs, l'intégration du Maroc au CCG devrait passer par cette ouverture. Une ouverture dans laquelle l'économie marocaine a tout à gagner et rien à perdre», conclut le consultant. L'AVIS DE L'EXPERT Belkacem Boutayeb, expert consultant MENA/Afrique. « Le Maroc, une fâcheuse exception » Selon Belkacem Boutayeb, expert consultant MENA/Afrique, ex directeur au groupe international Dar Al-Maal Al-Islami, le Maroc demeure un des rares pays musulmans à ne pas autoriser ouvertement l'implantation de banques islamiques, quand on sait que déjà, en Avril 1984, le Groupe Dar Al-Maal Al-Islami avait dèja ouvert les trois premières banques islamiques en Guinée Conakry, au Sénégal et au Niger ! On dénombre plus d'une cinquantaine sur le continent , les premières ayant vu le jour en Egypte… Plusieurs institutions bancaires occidentales ont compris le bien-fondé et la fiabilité du système financier islamique et de nombreuses banques islamiques opèrent à Londres, et plusieurs ouvertures sont en cours en Europe et ailleurs … Il est inadmissible, selon les économistes et les opérateurs économiques, qu'un pays émergent, leader dans plusieurs domaines et précurseur de grand projets, ayant pleinement opté pour l'économie libérale et affichant la volonté de suppression de toutes barrières administratives et bureaucratiques, persiste à priver ses entreprises, surtout les petites et moyennes, d'outils de financement appropriés, que pourraient justement apporter ces banques islamiques. Des banques dont la philosophie et le fonctionnement reposent sur le financement en capital risque, sur la coresponsabilité et le partage des risques et des résultats. En d'autres termes, l'économie islamique favorise l'association entre le capital et le travail, faisant de l'argent, au delà de sa valeur marchande, un outil de création de richesses et de croissance, dans l'approche participative et la solidarité communautaire.