Au fil des siècles, la photographie africaine a oscillé entre influences occidentales et réinvention identitaire. Zoom sur une autre image de l'art photographique en Afrique, celle non véhiculée par les reportages de guerre et de famine, propagés si longtemps par les médias. Ce n'est qu'au début des années 1990, semble-t-il, que le marché de l'art a produit une photographie africaine qui réponde aux intérêts des biennales internationales, des galeristes et des collectionneurs. Remontons à la genèse de ce médium qui a entamé son parcours par l'art du portrait blanc et noir, expression emblématique de la photographie africaine, qui remonte aux prémices du colonialisme sur le continent noir. La photographe marocaine Fatima Mazmouz, dans son débat la semaine dernière sur la photographie africaine, avait mis la lumière sur les courants de la photographie, tentant de retracer les repères et les outils de cet art. Selon elle, au XXe siècle, la genèse de la photographie africaine avait émergé avec les colons qui, fascinés par cette culture, se munissent de leurs appareils à trépied, photographiant les indigènes. Captant des portraits sur le vif, ils ne tardent pas à développer des ateliers itinérants et à capturer la vie des habitants en déambulant dans leurs roulottes. C'est ainsi que naît la photographie en studio dans les années 1930. L'un des illustres photographes de cette période est l'Ivoirien Augustt Azaglo. Mais la figure emblématique et le précurseur du portrait noir et blanc en studio est incontestablement Seydo Keïta. Photographe malien de l'après-guerre, il officie dans un studio à l'univers kitsch, utilisant des objets colorés et identitaires, se démarquant par une grande sensibilité aux motifs. Mazmouz explique que, à cette époque, les photographes commencent à vivre de leur travail et à pratiquer ce métier à part entière. Et ce sont dans ces conditions que paraissent les premières photographies peintes qui vont influencer plus tard les photos de rue. Avec l'avènement du flash et les innovations techniques ainsi que le développement de la photographie nocturne, l'éveil du regard s'affine, et la vision de l'Afrique se dessine, notamment avec le Malien Malick Sidibé dans les années 1960. Ce dernier est l'un des artistes ayant immortalisé le Bamako « yé-yé », la jeunesse malienne des années de l'Indépendance. Un peu plus tard, des photographes tels que le Camerounais Samuel Fosso s'éloigne des portraits imposés par les colons et crée un nouveau genre d'autoportrait. « La photographie de reportage africaine a longtemps été discréditée, se confinant dans un rôle de propagande » Fatima Mazmouz, conférencière Au vu de ce foisonnement est fondée, en 1994, une manifestation culturelle qui va se tailler une place primordiale en Afrique. La Biennale de Bamako propulse nombre de photographes africains sur la scène internationale et dans la presse. Un événement de taille qui valorise jusqu'à présent les photographies nationaux invisibles ; le Soudan en 1995 en est un exemple. « La recherche identitaire dans la photographie contemporaine et la vision individualiste revendicatrice, un regain d'africanité, des codes vestimentaires nouveaux et haut en couleurs ont commencé a dessiner les contours de la culture contemporaine », explique Fatima Mazmouz. Outre les collectionneurs et les galeristes, cette photographie inspire également le monde de la mode. L'engouement pour le revival des portraits de Seydou Keïta, de Malick Sidibé et de Samuel Fosso a d'abord touché le milieu des créateurs de mode, portés par une dynamique qui s'apparente au « recyclage du kitsch africain ». Au vu de ces artistes, le Mali est devenu un laboratoire d'expérimentation photographique. Plus tard, des photographes contemporains, tels Mohamed Camara, jeune artiste talentueux qui expose en 2003 à la Tate Gallery de Londres, et Yto Barrada, photographe marocaine de renom, émergent aux confins du continent comme ailleurs. Selon Fatima Mazmouz, « la photographie de reportage a longtemps été discréditée, se confinant dans un rôle de propagande, notamment en Guinée et au Mali, où les studios étaient confisqués ; et le gouvernement, oppresseur ». Cependant, dans certains pays comme au Kenya et en Afrique de Sud, les photographies étaient moins complaisantes et plus dénonciatrices. Pour preuve, Khamis Ramadan du Kenya était l'un des documentalistes et journalistes les plus percutants de son époque, ainsi que l'Ethiopien militant en images Mohammed Amine, dont le bras a été amputé lors de ses incessantes luttes contre le régime et la famine. L'Afrique du Sud, pays africain contestataire par excellence, est un des rares pays d'Afrique où la photographie a pris, sous l'apartheid, un rôle social et politique. Totalement conditionné par le colonialisme, ce genre de photographie en dit long sur les visions occidentales toujours stéréotypées de l'art africain où les images moroses et désolantes sont omniprésentes. Il est clair que les photographes contemporains réalisent l'importance de déterrer les vestiges photographiques non rédhibitoires. C'est peut-être en replongeant dans les racines que nous ajustons le futur.