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Notre Maroc à travers le prisme d'Orwell
Publié dans Le Soir Echos le 07 - 09 - 2011

Le peuple a voté ! Bonnes âmes abstenez-vous de commenter ! Que ceux qui se prétendent démocrates tournent la page et s'engagent dans la construction d'un Maroc moderne! Il faut arrêter l'agitation, elle est contre-productive. Regardez nos frères tunisiens et egyptiens, ils n'arrivent pas à s'en sortir! Les agitateurs sont manipulés par les ennemis du peuple! Ils ne représentent qu'eux-mêmes! Les vrais citoyens, eux, travaillent et ont déjà fait leur choix: ils veulent que ça continue ainsi ! J'ai entendu tout cela mais, malgré toute la bonne volonté du monde, il reste un goût amer d'inachevé, d'occasion manquée, d'émancipation avortée…
Ce brouhaha issu de la campagne constitutionnelle m'a naturellement réintroduit dans l'univers de 1984 de George Orwell. Une lecture décalée du mécanisme qui a poussé plus de 9 millions de personnes à valider un texte qui, s'il offre quelques progrès notables, n'en reste pas moins très timide en terme d'évolution vers une gouvernance démocratique transparente incluant une reddition de comptes impartiale et sans concessions.
« Le système de Big Brother endoctrine le citoyen par tout et son contraire pour le défaire de tout sens logique ».
1984 est la caricature socio -politique la plus aboutie de Georges Orwell qui est, à mon sens, l'un des plus grands écrivains du siècle dernier. Ce militant de gauche a publié, en 1948, un roman de science- fiction décrivant un monde partagé en trois blocs totalitaires (Oceania, Eurasia et Estasia) se livrant à des affrontements permanents pour le contrôle d'un quart-monde délimité par l'axe Tanger- Hong-Kong. C'est ainsi que Winston, un jeune Londonien, dont le travail est la réécriture de documents historiques pour les adapter à un discours officiel en perpétuel changement, entreprend l'écriture clandestine d'un journal personnel et s'offre même une aventure amoureuse ; deux crimes impardonnables pour un régime qui déstructure la Pensée, l'Amour, la Fraternité et la Famille. Les Océaniens sont dirigés par «Big Brother» (première apparition de cette expression dans la sphère politique) qui les surveille en permanence à travers des «Télécrans» et ce, de manière comparable à ce que l'on a pu voir dans diverses émissions de «télé-réalité» lors des dix dernières années. Ils ont un ennemi officiel, Emanuel Goldstein, qui est l'auteur d'un livre «subversif» qui dénonce tous les artifices et techniques utilisés par le système pour aliéner l'individu et la collectivité et comble de la perfidie: le système reconnaît, d'une part, être lui-même l'auteur du livre et, d'autre part, que les méthodes dénoncées par le livre sont effectivement appliquées. Les Marocains ne se sont vraisemblablement pas exprimés sur le texte constitution, qui aurait été remanié, à l'insu de tous, la veille du scrutin, mais poussés par d'autres motivations qui seront, un jour peut-être, analysés par des sociologues ou des historiens. Le citoyen a été manipulé par des références culturelles, voire mêmes cultuelles, dénaturées pour l'occasion et largement utilisées par une propagande qui si elle ne fut pas officielle, n'en utilisa pas moins toute la puissance publique pour se répandre. Certaines mains, petites ou grandes, occultes ou visibles, ont rabattu à peu de frais, des laissés -pour- compte ou une clientèle facile pour museler les voix discordantes.
Les articulations de notre nouvelle Constitution n'ont rien à envier à la Double Pensée d'Orwell à travers laquelle le système de Big Brother endoctrine le citoyen par tout et son contraire pour le défaire de tout sens logique : «deux et deux font cinq» ; «la guerre c'est la paix»… Ainsi nos langues officielles sont l'arabe et l'amazigh et nous devons nous en convaincre même si notre langue de tous les jours est la «darija» et l'une de nos principales langues de travail (y compris au sein de l'administration et dans nos universités) est le français qui, lui,n'est même pas mentionné. Les femmes ont les mêmes droits que les hommes et nous sommes soumis aux droits de l'Homme tels que reconnus universellement mais dans le respect des constantes de la nation qui, elles, différencient le droit des femmes de celui des hommes. Le droit au logement et au travail est garanti par la Constitution mais inapplicable à tous dans la réalité car cela voudrait dire que tout citoyen peut exiger de l'Etat un travail et un toit décent.
J'en passe et des meilleures et force est de constater que les emprunts à la caricature d'Orwell sont encore trop nombreux pour affirmer que les gouvernants respectent leurs administrés en toute bonne foi. Le Peuple a voté ! Oui mais le Peuple a encore une fois été bafoué ! Jusqu'à quand ?


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