C'est en 1975 que je rencontrai Ibrahima Baba Kake, cet agrégé de l'Université qui était directeur historique de la collection Grandes figures africaines dont plusieurs titre paraissaient aux éditions ABC de Paris en même temps qu'aux Nouvelles éditions africaines à Dakar et Abidjan. Ces narrations vivantes mais référant aux meilleures sources connurent le succès. Les premiers titres en furent El Hadj Omar le prophète armé, d'Emile Ducoudray, Behanzin, roi d'Abomey de Joseph Amegboh, Anne Zingha, reine d'Angola, première résistante à l'invasion portugaise d'Ibrahima Baba Kake et, du même auteur, Djouder, la fin de l'empire Songhay. L'entreprise concernant tous les siècles rendus volontairement obscurs par l'histoire coloniale pour laquelle très souvent l'Afrique n'accède à l'histoire que colonisée et soumise, ainsi que l'on a pu encore récemment l'entendre lors de certain discours prononcé à Dakar par un Européen proclamant : « L'Afrique n'est pas encore entrée dans l'Histoire » Ibrahima Baba Kake me disait, il y a 36 ans, que la collection Grandes figures africaines voulait remédier essentiellement à deux lacunes : sur le plan de la diffusion d'abord et ensuite du fait du caractère par trop ardu et spécialisé des titres disponibles concernant l'histoire de l'Afrique : des ouvrages visiblement écrits pour une élite restreinte et dont les auteurs, par ailleurs, étaient rarement des Africains. Depuis, fort heureusement, une nouvelle génération d'historiens africains voit ses travaux largement publiés, mais toujours insuffisamment diffusés. Ibrahima Baba Kake publia des articles de vulgarisation dans le mensuel Bingo : « Les réactions étaient variées. Les élèves des lycées m'écrivaient combien ils regrettaient de n'avoir pas appris cette histoire là, l'histoire du continent. Heureusement, l'histoire de l'Afrique est désormais inscrite dans les programmes ». Q : Quel est le «pourcentage» de véracité d'ouvrages de vulgarisation écrits sous une forme assez romanesque ? R : Tous les personnages évoqués sont vrais, aucun n'est inventé. Le contexte dans lequel ces personnages se meuvent est historique. Nous avons opté, en effet, pour un ton romanesque, un style qui n'est pas scientifique et c'est pourquoi, pour la commodité de la narration et de son mouvement, nous en sommes venu à inventer des personnages secondaires. Dans le livre sur El Hadj Omar où sont évoquées deux confréries, celles des Tidjania et celle de la Quadrya, pour montrer l'esprit démocratique de la première opposé à l'esprit aristocratique de la seconde, nous avons inventé un petit garçon pauvre qui devient un des dignitaires de l'armée des Tidjania. Or, c'est tout à fait plausible, cette ascension, car il y avait en effet toutes sortes de gens dans cette armée. Q : De quels documents faites-vous usage ? R : La plupart sont écrits. On possède depuis très longtemps des chroniques arabes sur l'histoire de la savane. Pour mon ouvrage sur Djouder et la fin de l'empire Songhay, il y a les Tariq des auteurs de Tombouctou. Pour la période coloniale, il y a surtout les récits des explorateurs et des conquérants. Le travail consiste évidement à établir l'équilibre par des témoignages, des renseignements recueillis oralement. Diffusée dans l'Ouest africain à raison de 15 000 exemplaires par volume, la collection Grandes figures africaines est rédigée après ce travail d'enquête et de recherche par des auteurs qui sont en très grande majorité des Africains, même si y participent aussi des auteurs comme le professeur Person de la Sorbonne qui a fait une monumentale thèse sur Samory. Q : Comment pensez-vous que des lecteurs marocains, et je pense surtout à des historiens, vos confrères, réagiront-ils selon ce que vous pouvez supposer, à la lecture de votre ouvrage : Djouder, la fin de l'empire Songhay ? R : Nous avons créé en 1972 une association des historiens africains. Dans ce cadre, des confrontations d'idées ont lieu entre spécialistes et si je ne peux me mettre à la place des Marocains invités comme tous les Maghrébins au congrès de Yaoundé et deviner leurs réactions à mon texte évoquant leur expédition de 1591, je vous dirai ce que j'ai voulu faire : ne pas poser les Africains en simples victimes et les Marocains en impérialistes. Q : Votre avis de chercheur et d'écrivain devant les travaux actuellement publiés sur l'Afrique. Y en a-t-il qui sont falsificateurs ? R : Ce qui est nouveau et ce qui est important, ce sont les travaux sérieux et nombreux, les recherches archéologiques menées tant au Ghana qu'au Nigéria, en Sierra Leone et au Liberia. Les pays francophones d'Afrique restent à la traîne et ce sont des anciens coloniaux ou de jeunes sociologues qui ont la possibilité de faire des recherches et de trouver. Le doute n'est néanmoins pas permis : l'histoire de l'Afrique est en voie de décolonisation ». Trente-cinq après l'entretien que m'accorda Ibrahima Baba Kake, ce n'est pas seulement l'histoire ancienne de l'Afrique qui est étudiée mais aussi son histoire contemporaine auscultée par des historiens, des sociologues et des politologues.