Artiste défricheur qui n'a cessé de porter au monde la musique arabo-gitane, Jahloul Bouchikhi, dit Chico, fondateur des Gipsy Kings puis de Chico & The Gypsies a honoré le 5e Festival international de raï d'Oujda dont il a été le directeur. Derrière son grand talent, se dessine un homme en paix et un grand humaniste. Que vous a inspiré votre retour sur scène à Oujda, dont vous êtes originaire ? Je suis évidemment très heureux d'avoir retrouvé Oujda, la ville natale de mon père, et d'avoir été directeur de cette cinquième édition du Festival international de raï. Ma présence ici est chargée de beaucoup d'émotion. D'une part parce que les organisateurs m'ont invité à me produire, ce qui comble l'artiste que je suis et, d'autre part, par ma désignation en tant que directeur, qui honore fortement l'enfant oujdi que je reste. Que retenez-vous à l'issue des ces trois nuits raï ? Le profond respect témoigné par le public oujdi. J'ai rarement vu autant de joie et d'harmonie lors d'un concert. Et le travail remarquable accompli par l'association Oujda Arts, les petites mains qui œuvrent dans l'ombre, l'élan de tous. Je suis très fier d'avoir apporté ma contribution à cet événement, qu'il nous appartient de renforcer afin qu'il continue de s'ouvrir à autrui et accueillir les héritiers du raï. Parlez-nous de la fusion de Chico & The Gypsies avec Cheb Aïssa, découverte en avant-première mondiale lors du concert d'ouverture le 21 juillet… Je connaissais le travail de Cheb Aïssa, qui est installé à Marseille depuis plusieurs années. Nous nous étions rencontrés alors que je faisais partie du groupe Mosaïque Gitane. Il a une voix puissante, pétrie d'émotion. Nous avions le souhait de réaliser un projet autour d'une fusion entre le raï et la musique gypsie. Nous nous sommes enrichis par la culture et la musique arabe et gitane. Cette idée a donné naissance à l'album Gipsy raï réunissant, différents titres déjà connus du public comme les chansons emblématiques raï et d'autres standards du Maghreb tels que « Dour biha ya chibani », issue de la musique judéo-marocaine et auxquels nous avons donné un nouveau souffle festif, dynamique et coloré. Le résultat est une fusion très noble qui offre tout ce qu'on aime dans ce courant musical, à travers certains titres repensés, propres au répertoire de Khaled, Cheb Mami, et des anciens raïmen et meddahates. Qu'est-ce qui vous touche dans le raï ? Le message qu'il transmet. Tous les artistes qui se sont succédé sur la scène sont porteurs de messages forts à travers leurs textes. Comme le blues ou encore le flamenco, il s'agit d'une musique qui chante des moments de vie. Les gens se reconnaissent immanquablement dans ce qu'expriment ces chansons. Vous avez une longue histoire avec la musique à travers les formations Mosaïque Gitane et les Gipsy Kings…Quel bilan faites-vous de votre parcours ? Je suis sincèrement comblé par ce que j'ai réalisé. Le plus important, selon moi, est le moment présent et les rencontres déterminantes. J'ai le souvenir de celle avec Charlie Chaplin à Lausanne, qui à la fin d'une chanson des Gipsy Kings, a tellement été ému, qu'une larme a coulé sur son visage. C'est une image qui ne m'a jamais quitté. Vous avez également été invité par les Nations Unies en septembre 1994 à Oslo pour célébrer le premier anniversaire du traité de paix en présence de Yasser Arafat et Shimon Peres, dont on retient la symbolique poignée de main du XXe siècle… C'était un moment très fort et très émouvant pour moi car je suis lié à cette histoire, quelque part. Mon frère, Ahmed Bouchikhi a été assassiné par le Mossad en 1973 à Lillehammer, qui l'avait confondu avec un terroriste palestinien car il lui ressemblait. Ce terroriste était suspecté d'être l'un des responsables de l'attentat de Munich. C'est feu sa majesté Hassan II qui a fait rapatrié le corps de mon frère au Maroc. La poignée de main entre Yasser Arafat et Simon Perez était un magnifique image de pardon. En 1995, le directeur de l'Unesco, touché par mon histoire et celle de mon frère, m'a nommé «envoyé spécial de l'Unesco pour la paix». Et c'est à ce titre que je pars bientôt à Izmir, Antalia, puis en Palestine, à Jérusalem-Est.