Abdellatif Laâbi a présenté son dernier ouvrage lundi à Rabat. Dans Maroc : quel projet démocratique ? l'auteur a rassemblé un ensemble de textes écrits ces dix dernières années et publiés pour la plupart dans la presse. Il décrypte pour le Soir échos les grandes lignes de son ouvrage. Dans votre nouvel ouvrage, vous dites que « le Maroc démocratique, moderne et prospère n'est plus une utopie ». A quel moment cette « période de tous les possibles » a-t-elle débuté ? En février bien sûr. Avant, je pense qu'on était plutôt dans une période de régression démocratique. C'est comme ça que je vois la période qui s'étale de 2003-2004 à ce jour. Il y a eu un certain nombre d'acquis, de mesures-phares qui ont été prises au début du règne du roi Mohammed VI. Sur les droits des femmes, la langue et la culture amazighes, les droits de l'Homme… Et puis, on a progressivement assisté à une crise passion. Et quand on fait du surplace, pour moi, on recule. Les mesures prises ont été, en quelque sorte, gelées ? Pendant quelque temps, on était dans l'arrêt des grandes mesures qui vont dans le sens du changement, de l'acquis de nouveaux droits démocratiques. Puis on est passé à une phase d'affairisme, du rôle prépondérant de l'entourage… Donc à une phase de régression politique par rapport au début du règne. Puis vint le printemps arabe ! C'est une nouvelle page qui s'est ouverte dans l'histoire des peuples. Ce printemps arabe a fait école, ce n'est pas seulement le monde arabe qui a bougé. Vers le Xe siècle, le monde arabo-musulman était le plus avancé au niveau des connaissances, de la philosophie, des lettres et des arts. Puis arriva une grande période de régression, durant laquelle plus personne n'arrivait à contribuer, dans le monde arabe, à la culture universelle. Or, ce qui se passe en Espagne ou en France aujourd'hui, est la preuve que l'onde de choc du monde arabe a même touché des démocraties avancées. Il y a une sorte de dignité retrouvée à l'intérieur des pays arabes, mais aussi dans le concert des nations. C'est-à-dire que ce monde peut être producteur de quelque chose de bénéfique même pour d'autres sociétés. Ce qui a commencé au Maroc ne peut pas s'interrompre. Pourtant, on constate des répressions policières de plus en plus nombreuses ; en particulier, à l'encontre de membres du Mouvement du 20 février. N'est-ce pas là un frein à l'avancée ? Il faut garder l'esprit de résistance. Il faut que ce mouvement reste. Un mouvement pacifique, citoyen et qui l'a été dès le départ. Je crois qu'on ne peut pas avancer et conquérir des droits sans sacrifices. C'est presque une loi de l'Histoire ! En présentant votre nouvel ouvrage, vous avez évoqué le projet démocratique, qui possèderait deux composantes essentielles, que sont la dignité des femmes et l'importance de la dimension culturelle. Pour moi, ce sont deux domaines dans lesquels il faut qu'il y ait une véritable avancée. Les femmes ont acquis un certain nombre de droits depuis le début des années 2000. Mais ce n'est pas tous les droits. Le combat des femmes est permanent et ne peut pas s'arrêter. Elles ont tellement perdu à travers l'Histoire, qu'il leur faut énormément de temps pour conquérir toute leur dignité et leurs droits. L'autre composante, c'est la culture. Si elle n'est pas au centre du projet démocratique, on n'ira pas très loin. Parce que la culture, l'enseignement et la recherche scientifique, ça forme des démocrates ! Les démocrates ne surgissent pas comme ça par génération spontanée. Il faut toute une formation, qui peut demander du temps aussi. Mais jetons les bases de la formation du futur citoyen qui va être un vrai démocrate, non seulement en discours, mais dans la pratique. La pratique sociale, dans l'intimité, dans les relations humaines, dans le rapport à autrui.