On n'en finit pas de regretter la collection Petite bibliothèque arabe qui paraissait au début des années 2000, sous la houlette du poète irakien Abdul Kader El Janabi, aux défuntes éditions Paris-Méditerranée. Les livres demeurent, et l'on peut ainsi retrouver Le Verbe dévoilé, petite anthologie de la poésie arabe au féminin concoctée par Abdul Kader Janabi en 2001 et relire, dans un volume bilingue, les envolées, les confidences sans concessions, les stupeurs proclamées de femmes dont les prouesses ou promesses transcrites «expriment, comme le soulignait El Janabi dans sa préface, leur aspiration à la liberté, leurs émotions si éloignées de l'éthos masculin caractéristique de la poésie métrique arabe : militantisme, identité nationale, domination…» De ces poèmes dont El Janabi soulignait qu'ils « jaillissent librement à leur rythme, sans rime ni souci d'artifice», il donnait à lire un exemple frappant avec ces vers de la Syrienne Salwa Al Neimi, qui vit à Paris depuis de nombreuses années : « Les disputes conjugales ne sont pas poétiques / Ni les cris des enfants,/ Les embarras de la circulation/ Ou la lecture des journaux./ Pendant que je fais la vaisselle du soir / Le poème tombe du robinet/ Comme un poisson entre mes mains». Treize poétesses et l'audace dans l'expression s'invite immédiatement avec Mayssoun Saqr, poétesse et peintre émiratie (née en 1958 à Abu Dhabi) qui dit de la sensation qu'elle «est une boîte pour parfaire l'innocence» et va concluant : «Avec un seul corps le plaisir ne s'abonne guère». Le poème Pardon de Salwa Al Neimi est bien représentatif de l'intempestivité crâneuse qui fait le charme de bien des textes de ce Verbe dévoilé « Quand je monte brusquement au ciel, / Dieu me reçoit à la porte du paradis, / Il me regarde comme s'il me voyait pour la première fois : « T'as de beaux yeux, tu sais !». D'origine tunisienne, Amel Moussa, née à Tripoli en 1971, publia La femelle de l'eau en 1997 et le ton de ses poèmes est affirmatif et sensuel : «Dans le cristal / J'ai dormi trois saisons / Les affres du sommeil m'ont réveillée/ Pour boire / Ce qui restait aux sources / J'ai tellement voyagé / En femelle/ Grosse d'un fleuve agité/ Que l'herbe a poussé / Et que ma rose a éclos en automne». Responsable de la page artistique du quotidien koweitien Al Qabas, Saâdia Moufarreh témoigne en poésie de l'effervescence picturale arabe : «Il mélange ses couleurs / Chaque fois qu'apparaît devant lui/ Une paire d'yeux bonne à peindre / L'ourlet d'une robe colorée / Un bec de colombe /Ou même un verre brisé/ (…) Il crayonne/ Chaque fois que sa poitrine /S'enfle de pleurs rugissants et captifs». Mais c'est son portrait d'ami qui est sa contribution la plus incisive à l'entreprise de désillusion à laquelle la poésie incline parfois : «Misérable comme un trottoir mouillé/ Délicat comme une chanson de Fairouz au matin / Enragé comme un poète des années cinquante/ Achalandé comme un journal /Et… menteur/ comme n'importe quel ami intime». La yéménite Hoda Ablan (traduite par Hala Moughani) livre, dans Carrefour des dénouements un portrait de petite fille qui «se tient au carrefour de la vie et de la mort. / Elle chausse deux carreaux froids/ Echancre deux blessures/ Pour engranger le sel des passants». La Soudanaise Magda Awad Allan réussit une saisissante évocation des jeux et enjeux de la lumière : « L'obscurité et l'isolement vivent une liaison matoise. / Comme la nuit s'évertuant à cacher les détails / La lumière est habile à se farder / Et pourtant la fenêtre n'ouvre pas toujours ses bras». Beaucoup est dit ainsi des tourments et des aspirations que la poésie permet d'expliciter sans rien exclure. Née à Ryad en 1953, Fawziya Abou Khaled publia son premier recueil alors qu'elle avait seulement dix-neuf ans : «Jusqu'à quand t'enlèveront-ils lors de tes nuits de noce ? Ces temps-ci, la question que se pose la femme saoudienne est, comme on sait : jusqu'à quand t'interdiront-ils de conduire une automobile» ? L'un des poèmes les plus remarquables de cette petite anthologie de la poésie arabe au féminin est signé Dunya Mikhail. Dans Le jeu, cette Irakienne née en 1965 et vivant aux Etats-Unis montre s'agitant «Un pauvre pion / Sautant toujours sur la case opposée / Ne regardant ni à droite ni à gauche/ Ni derrière». Le lecteur découvre l'imbroglio où se démène « un pauvre joueur que manœuvre une vie futile». Jouana Salloum Haddad est libanaise et publie des recueils aussi bien en arabe qu'en français : «Ton pays, écrit-elle est cette nuit brûlante / nul soleil n'est là pour l'éteindre». De l'Egyptienne Imane Mersal, on retiendra qu'elle possède le sens du tragique et de la dérision : «A la même cadence / Le nombre de foyers d'expatriées croût/ (…) Le nombre des taxis de service, / Des embryons dans les sacs de vidanges, / Des mois de l'été…» Dans La Gitane, la poétesse algérienne Nassyra Mohammedi demandait : «Quelle amoureuse étais-tu ?/ O veuve du désert / Baiser ultime du gitan». Quant à Siham Daoud, poétesse née en 1953 et qui fonda avec le grand romancier Emile Habibi la revue Masharef (Alentours), elle écrit Jaffa, la pluie occupée et aussi : «Je n'attendais pas le coq/ Alors qu'on pend le jour derrière mes murailles». C'est avec la poétesse marocaine Zohra al Mansouri, native d'Asilah que se clôt Le Verbe dévoilé, avec Souvenir dont l'auteur elle-même a composé la version française : « Je me rappelle…/ La chute de la lune / Le recroquevillement des palmiers en route / Les rêves des repas des cendres oubliées / Dans les coins poussiéreux». La poésie féminine arabe ainsi dévoilée n'est pas une partie de rigolade mais on y entend des voix libres et vivantes.