En ce début d'année, on peut s'étonner que la fameuse loi régissant le travail du personnel de maison n'ait toujours pas été promulguée et qu'une pétition pour l'éradication du travail «des petites bonnes» circule toujours. lila sefrioui H asna a 19 ans, est originaire d'un douar près de Zagora. Elle travaille pour la famille X depuis maintenant six mois. Le matin, c'est la première levée pour préparer le petit-déjeuner. Débute alors une journée de corvées (ménage, cuisine, rangement). Elle lave aussi la voiture de Madame et porte le cartable de Mademoiselle au retour de l'école. Le soir venu, elle dispose sur le carrelage glacé de la cuisine un mince matelas et s'y endort, fourbue, avec comme perspective, la répétition, jour après jour, d'une routine bien rodée. Hasna travaille sept jours sur sept, habitant trop loin pour pouvoir rentrer chez elle le dimanche. Elle perçoit un salaire de misère et retourne au bled une fois par an, pour l'Aïd el Kébir, au grand désespoir de la maîtresse de maison. Un monde à la Gostford Park Son sort n'est pas très différent de celui des domestiques que Robert Altman a mis en scène dans son film Gostford Park en 2002. Le pitch ? Un somptueux manoir anglais, une famille fortunée, des invités prestigieux réunis pour une partie de chasse. A l'étage, ambiance feutrée, flirts badins, intrigues et suppliques, musique douce et jeux de société… Au rez-de-chaussée, une armée de domestiques qui s'activent pour satisfaire les maîtres et leurs hôtes. Ils prennent même le nom de leurs maîtres «parce que c'est plus pratique», se voyant ainsi dépouillés de leur identité. A la hiérarchie d'en haut répond celle d'en bas. Deux univers, étroitement soudés, qui se côtoient ainsi jour et nuit, sans se comprendre, séparés par une invisible et infranchissable barrière. La comparaison s'arrête là, puisque ce tableau de l'aristocratie britannique et de ses relations avec sa domesticité se déroule au XXe siècle, au début des années trente. Nous, nous sommes au XXIe siècle et nous en sommes toujours là. Pire, entre 6.600 et 88.000 filles de moins de 15 ans sont employées comme bonnes (dont 13.500 sur le Grand Casablanca) alors que le Maroc a ratifié, le 26 juin 1990, la convention des droits de l'enfant, selon laquelle, “un enfant ne peut occuper un travail à partir de 12 ans, que dans un cadre familial et dans des conditions saines”. Elles sont payées entre 300 et 500 dirhams par mois et travaillent entre 14 et 18 heures, soit une moyenne de 50 centimes l'heure. Elles sont les victimes de tout un système de samsarates, «intermédiaires» qui gagnent entre 300 et 500 dirhams par «dossier ». Certaines subissent même des sévices physiques et moraux. Quand Nouzha Skalli est arrivée au ministère du Développement social, de la Famille et de la Solidarité en 2007, elle s'est fixé un objectif: «Un Maroc sans petites bonnes en 2010». De la petite bonne à la bonne philippine, un marché très concurrentiel Nous sommes en 2011. Les petites filles sont toujours arrachées à leurs familles pour servir d'autres familles, le personnel de maison est toujours exploité et subit la concurrence d'une nouvelle sorte d'esclaves : des femmes venant du Sénégal ou des Philippines. Ces dernières entrent souvent sur le territoire marocain sans titre de séjour via des filières informelles. Dans la caste des bonnes, elles constituent une sous-caste, des filles sans papiers, sans existence légale, encore moins bien payées que leurs camarades d'infortune marocaines. Elles ont un autre avantage non négligeable : celui de ne pas disparaître au moment de l'Aïd, le billet de retour vers leur pays étant hors de portée… Une loi qui tarde à venir On nous promet depuis des années une loi régissant le travail à domicile, mais cette dernière est toujours dans les tiroirs du ministère de l'Emploi. Elle prévoit un certain nombre de mesures visant à protéger le personnel de maison : travail des enfants entre 15 et 18 ans soumis à l'autorisation parentale, droit à un repos hebdomadaire de 24 heures par semaine, droit à un congé rémunéré d'un jour et demi par mois, un salaire ne pouvant être inférieur à 50% du Smig des secteurs de l'industrie, du commerce et des professions libérales… Une loi en demi-teinte qui aurait le mérite d'exister, mais qui ne va pas assez loin et fait du personnel de maison une sous-catégorie. Pourquoi la moitié du Smig et pourquoi l'impossibilité de déclarer sa bonne, sa cuisinière, son chauffeur ou son jardinier à la Caisse nationale de sécurité sociale ? Si Mohammed ou Fatima tombent malades, ils seront à la merci de la générosité des familles qui les emploient. La société civile et les ONG font pression sur le gouvernement bien lent à se mobiliser. Le Collectif marocain pour l'éradication du travail des «petites bonnes», constitué en mars 2009 par l'Association INSAF, l'Association marocaine des droits humains, Amnesty International Maroc et la Fondation Orient Occident, a lancé une pétition «contre l'exploitation de milliers de petites filles au Maroc qui sont privées de leurs droits à l'éducation, à la famille et à la santé et qui subissent toutes formes de violences physiques, psychologiques et sexuelles». Il faut aussi se mobiliser pour les bonnes, cuisinières, chauffeurs et jardiniers qui s'activent chaque jour dans l'ombre. Pourquoi n'auraient-ils pas droit à un salaire décent, une couverture sociale digne de ce nom, et un minimum de considération ?