Après avoir mis 110 milliards d'euros pour sauver la Grèce et 90 milliards pour sauver l'Irlande, l'Union européenne n'est pas tirée d'affaire. L 'hiver, dans les campagnes, on tuait autrefois le cochon entre décembre et mardi gras. En sera-t-il de même pour les PIGS («cochons» en anglais), ces pays fragiles de la zone euro, Portugal, Irlande, Grèce, Espagne (Spain) ? Deux d'entre eux déjà – la Grèce et l'Irlande – ne doivent leur salut qu'à l'aide de l'Union européenne et du FMI (Fonds monétaire international). Aujourd'hui, après le plan de 110 milliards d'euros pour la Grèce puis celui de 90 milliards pour l'Irlande, rien ne prouve que l'Union et l'euro soient tirés d'affaire. Les responsables portugais le savent bien, le pays étant considéré comme le prochain maillon faible des PIGS que les marchés vont tester… Comme ils l'ont fait pour les deux premiers. Avant peut-être de s'attaquer à l'Espagne, un pays d'une tout autre taille. Certes, les cas de la Grèce et de l'Irlande n'ont pas grand-chose à voir. La première affichait un déficit public abyssal par laxisme complet en matière de finances publiques. La seconde croule sous le poids de la dette de ses banques. Dublin a du les renflouer de 50 milliards d'euros, et c'est ce sauvetage qui lui vaut d'afficher un déficit public de 32% de son PIB. Un poids insupportable, d'autant plus que malgré la prise en charge publique des banques, celles-ci ne tiennent que grâce au refinancement massif de la BCE… Tout le monde s'est donc penché au chevet de l'Irlande, y compris la Grande-Bretagne, qui est hors de la zone euro. Car les banques britanniques, allemandes et françaises, très engagées auprès des banques irlandaises, seraient les premières concernées en cas de défaillance. Mais peu importe aux marchés, au fond, les causes précises qui ont conduit tel ou tel des PIGS au bord du précipice. Ce qui les intéresse, c'est de tester la détermination des Européens à rester ensemble et pour ce faire, à progresser vers une intégration plus complète. Lorsque le projet de monnaie commune a été adopté, chacun pensait qu'il conduirait logiquement à mieux cordonner les politiques des Etats membres. Or, cela n'a pas été le cas, en partie parce que l'Union a voulu intégrer très vite les pays d'Europe de l'Est et a connu une brusque crise de croissance. La crise actuelle est l'occasion de révéler que le fonctionnement de l'Europe est incohérent. La monnaie unique doit impliquer un minimum de politique budgétaire et économique commune et de redistribution. Tant que les leaders européens ne se décideront pas à progresser dans ce sens, les marchés continueront à tester la construction de l'Union. Ils sont ainsi faits. Et finalement, même si leur mode d'intervention crée le chaos, on peut se demander comment l'Europe évoluerait s'ils ne suscitaient pas une telle pression. Entre la crise grecque du printemps dernier et celle de l'Irlande aujourd'hui, un constat s'impose : le sauvetage a été plus rapide. Le dispositif était prêt et l'Allemagne n'a pas, cette fois, cherché à gagner du temps. Cela ne suffira pas. Comme l'ont fait remarquer Jean-Claude Trichet, président de la BCE, et Dominique Strauss-Kahn, président du FMI, le 19 novembre lors d'un colloque sur les banques à Francfort, il est urgent d'aller plus loin. La veille, Jean-Claude Trichet avait dit sa «profonde inquiétude» devant la manière dont la zone euro règle ses difficultés. Cette fois, il a ajouté qu'il existe «le risque de voir les mesures nécessaires en période de crise provoquer une accoutumance lorsque les conditions se normalisent». Il a ainsi fait référence aux facilités de refinancement «à taux fixe et à volume illimité», mises exceptionnellement à la disposition des banques commerciales depuis le début de la crise financière, et auxquelles les établissements irlandais ont aujourd'hui largement recours. Selon une note des analystes de Morgan Stanley, citée par Le Figaro, les banques d'Irlande - pays de 4 millions d'habitants - se refinancent auprès de la BCE à hauteur de 120 milliards d'euros. Soit pratiquement autant que ce que les établissements allemands et français réunis obtiennent actuellement de la BCE. Jean-Claude Trichet estime que la Banque centrale ne peut continuer à soutenir ainsi les établissements irlandais. Pour Dominique Strauss-Kahn, l'Union européenne doit adopter «une stratégie de croissance commune» si elle veut «rompre les chaînes de sa faible croissance». Aussi, chaque pays doit-il céder davantage de pouvoir aux institutions centrales. Il suggère d'instaurer «un marché unique du travail», car, dit-il, «l'euro ne peut pas atteindre son véritable potentiel avec des marchés du travail segmentés». Bref, «la coopération avance trop lentement», au sein de l'UE, estime le président du FMI, qui souligne «la lenteur de la réparation du secteur financier». Il y a fort à parier que s'il n'est pas écouté, un autre des PIGS va à son tour se trouver emporté et un autre… jusqu'à ce que l'édifice s'effondre.