J'ai l'impression d'avoir toujours aimé lire Abdelmajid Benjelloun, que je désigne comme Abdelmajid Benjelloun, (le jeune) –il est né en 1944- pour le distinguer d'avec Abdelmajid Benjelloun (l'aîné) -il naquit en 1919- auquel on doit Fi Toufoula dont la version française parut sous le titre Enfance entre deux rives (Wallada éd.) choisi par le traducteur Francis Gouin. Abdelmajid Benjelloun (le jeune) est un écrivain francophone hanté par la lecture du Coran mais aussi par les chansons d'Oum Kalthoum et comme l'indique assez son dernier ouvrage, Le livre du dedans de Rûmi ne le quitte pas. Voici donc que cet auteur secret et prolixe publie Rûmi ou une saveur à sauver du savoir aux éditions William Blake et Co. sises à Bordeaux et animées par le poète Jean-Paul Michel dédicataire d'Agadir de Mohamed Khaïr-Eddine. Si discrète que soit la gloire toute intérieure d'Abdelmajid Benjelloun (le Jeune), elle ne pouvait échapper aux poètes. C'est ainsi que le poète belge William Cliff fut l'intercesseur invitant à la publication chez Anatolia Le Rocher, en 2002, de son récit Mama. Le petit bonhomme de chemin de l'auteur de Rûmi ou une saveur à sauver du savoir, ressemble à un parcours de combattant de l'aspiration au verbe, mais aussi et peut-être surtout à un silence chanté. Plutôt preuves et épreuves, notre auteur sème des raisons d'espérer, des motifs de complétude, un faisceau de jeux et d'enjeux intimes. Cet enseignant universitaire, juriste et historien, on le retrouve, aujourd'hui, à la tête et au pied d'une pile de volumes qui furent comme des bouteilles à la mer et dont la lecture étonne et ravit. En effet, A. Benjelloun (le jeune) est de ces porteurs de paroles qui semblent prêts à tout sauf à abdiquer. A force de ne pas céder sur son désir d'expression vraie tout en ayant la conscience heurtée par la perpétuelle menace du faux, A. Benjelloun (le jeune) est devenu un auteur secrètement incontournable. Le lire, c'est comme humer un bouquet de phrases et, parfois, ce qu'il nous amène à découvrir (en lui ? En nous ?) ressemble à l'énigme d'un feu. Il me semble juste, plutôt que de gloser, de vous offrir un choix dans cette constellation dont Abdelmajid Benjelloun organise le scintillement en se prévalant d'une obscure clarté, ou d'une lumineuse obscurité, à moins qu'il ne soit précisément celui qui ne se prévaut de rien. Parce qu'il le vaut bien. Alors lisez : «Je voudrais écrire quelque chose sur l'astrologie de l'ovation, mais je ne sais pas quoi». «L'été de la calotte glaciaire n'est pas forcément le désespoir du soleil». «La vie est devenue si complexe de nos jours, qu'il arrive qu'un homme soit condamné pour vrai témoignage». «L'homme, quel qu'il soit, est un éternel conspirateur contre la vérité». «L'intimité avec les textes de Rûmi m'aura appris que le tout, ou du moins tel que nous le connaissons, n'est qu'une composante de la composante». «Certains hommes m'exaspèrent lorsque, en croyant en Dieu, ils croient lui faire une aumône». «Quel est celui d'entre nous qui n'aurait pas à remercier l'autre de l'avoir mis sur le chemin de lui-même ?» «Qui d'entre nous n'est pas bien installé dans son exil ?» «L'appellation contrôlée existe malheureusement aussi dans la poésie, alors qu'elle doit en être radiée». Les aphorismes d'Abdelmajid Benjeloun, c'est la musique andalouse du XXIe siècle, l'œuvre mélodieuse d'un homme que rien n'a préparé à chanter avec Najet Aâtabou : «Ça va pas du tout ya ima !» mais qui se demande dans ses Aphorismes amoureux (éd. Rivarticollection, New-York, 2009) «Qu'est- ce qui peut racheter le mauvais sourire de l'orgasme ? » La question que je me pose, quant à moi, est seulement de savoir ce qui empêche ses voisins de Salé de s'arracher les petits livres inspirés de leur discret poète, nombre de ces fascicules ayant été imprimés à Rabat ou à Tétouan aux frais de ce rêveur inclassable qui contresignerait, sans doute, cette réflexion de son homonyme A.Benjelloun (l'aîné) : «Il ne me vint pas à l'idée que j'assistais à un jeu de cache-cache auquel jouent inlassablement les deux sexes, selon la formule d'un écrivain européen en visite au Maroc- comme je l'appris plus tard- ; mon esprit était trop jeune pour concevoir une nation entière occupée à jouer à un jeu sans commencement ni fin». Ah ! Si les lecteurs et les livres cessaient de jouer à cache-cache !