Documentariste et producteur suisse, Nicolas Wadimoff est surtout un humaniste dont l'œuvre n'a cessé d'évoquer la Palestine et les questions liées à l'humain. «Aïsheen», son nouveau documentaire présenté dans la section Cinémas du monde aux 23es JCC, revient sur les traces de vie après les derniers bombardements à Gaza. Elle est née pendant les trois semaines de bombardements survenus l'an dernier. J'étais en train de me morfondre face à l'écran de ma télévision qui me renvoyait des images toutes plus insoutenables les unes que les autres. Je ressentais à la fois de la colère, de l'impuissance et de l'indignation. J'étais en questionnement, celui de savoir ce que pourrait apporter un documentaire supplémentaire sur la Palestine. Le flot d'images qui se déversait sur toutes les chaînes arabes du satellite n'était que dévastation, désolation et me laissait un goût amer à la bouche : les Palestiniens subissaient une double peine : d'une part, l'horreur de cette guerre injuste, la survie dans un enfermement et un blocus ; de l'autre, le silence médiatique dans lequel ils étaient murés, réduits à une seule représentation de ce conflit. Comme si le peuple palestinien ne pouvait pas exister en dehors de ce statut de victime. Est-ce pour cela que vous avez choisi le point de vue d'une caméra libre, qui laisse la parole aux habitants de Gaza, héros du quotidien ? Oui. Nous sommes partis une vingtaine de jours après les bombardements, et nous avons fini par poser notre caméra, en dehors des sentiers balisés par l'information, en marge du dessein nommé par les ONG, les porte-parole politiques ; nous avons décidé d'aller à la rencontre des gens qui n'ont pas d'espace d'expression et à qui on ne donne jamais la parole afin d'aller du côté de la jeunesse palestinienne, de la vie, de l'originalité. Et là, nous avons découvert les gardiens d'un zoo d'animaux empaillés, un exploitant de fête foraine qui a du mal à faire tourner sa grande roue, des clowns qui amusent les enfants d'une école à proximité de la gare d'un tunnel bombardé quotidiennement, le poste-frontière de Rafah, les moments de distribution de nourriture, un groupe de rappeurs lors d'une émission à l'antenne d'une radio. Comment définiriez-vous «Aïsheen» ? C'est un film documentaire de cinéma, qui pose un regard personnel là où les situations, les évènements, les personnages l'emmènent. Il se met du côté de la population afin de ne pas montrer une homogénéité mais plutôt une somme d'individus avec leurs particularités pour mieux entendre la voix d'hommes et de femmes et savoir ce qu'ils pensent à travers ce drame absolu. Il est plus organique que structuré, tourné dans une période d'après-guerre, où les gens étaient dans un état semi- comateux et reprenaient goût à la vie. «Aïsheen» a accompagné ce souffle, et à la question : «Y a-t-il une vie après l'enfer à Gaza ?», je pense qu'il y en aura toujours. Vous êtes également producteur, puisque vous produisez un cycle de films signés par de jeunes réalisateurs palestiniens, comme «Fix me» de Raed Andoni, présenté en compétition officielle durant les JCC… Oui, ma société de production Akka Films se consacre aux films de fiction et aux documentaires ancrés dans le réel et le débat sociétal, ou qui tentent d'explorer des formes cinématographiques originales. Comme «My home», «Fix me», «Secrets».