Si les sociétés de crédit à la consommation en sont presque arrivées à lancer des avis de recherche pour recruter de la clientèle (comme l'illustre une récente campagne publicitaire d'une des sociétés de la place), les banques, elles, font plutôt la fine bouche. La preuve, les conditions qu'elles imposent de plus en plus aux particuliers désireux d'emprunter pour acquérir un bien immobilier. Les barrières à l'entrée prennent plusieurs formes, selon les éléments recueillis auprès des professionnels. D'abord les banques sont plus regardantes sur la valeur du bien à financer. Elles rapprochent systématiquement le montant du financement requis des grilles tarifaires dont elles disposent en interne pour s'assurer de la cohérence du financement demandé. L'objectif pour les banques étant de minimiser les risques en cas d'exécution de l'hypothèque dont elles assortissent les biens financés. «Naturellement, tout cela se pratiquait avant, mais l'on cherche à se couvrir davantage actuellement», avance un directeur d'agence bancaire. Et pour cela, justement, le niveau de garanties de financement requis est revu à la hausse. A l'inverse les quotités de financement tirent à la baisse. «Si la partie prise en charge par la banque sur la valeur d'un bien immobilier pouvait aller jusqu'à 125%, elle s'établit actuellement en moyenne entre 40 à 50% et elle peut aller tout au plus à 80%», témoigne Julien Stephan, directeur commercial de Cafpi, première agence de courtage en prêts immobiliers au Maroc.Dans la même logique, une plus grande prudence est adoptée vis-à-vis des profils de clientèle réputés plus risqués. A titre d'exemple, «dans les régions où les MRE se sont mis en défaut de paiement, les agences bancaires ont reçu pour consigne de limiter les crédits qui leur sont octroyés», témoigne un professionnel. En l'occurrence, le financement n'est pas refusé explicitement à ce segment de clientèle, mais au lieu de cela on propose des délais de remboursement décourageants: 12 ans au lieu d'au moins 15 ans en temps normal. Mais surtout, l'actuelle situation du financement immobilier est caractérisée par une tendance haussière des taux d'intérêt. A vrai dire, les taux ont augmenté il y a quelques mois déjà. En effet, les banques, réunies au sein de leur groupement professionnel (GPBM), avaient discrètement décidé, vers la mi-2009, d'augmenter les taux des crédits immobiliers qui ont été relevés de 50 points de base pour les porter d'un minimum de 5% à 5,5%. Certes cela est venu corriger une anomalie puisqu'en 2008 et 2009 le taux plancher du crédit à moyen terme était supérieur à celui appliqué aux prêts à long terme. Seulement, les banques n'en sont pas restées là. «Au taux de 5,5% pratiqué en juillet dernier sont venus s'ajouter 100 points de base supplémentaires pour faire monter les taux d'intérêt actuels jusqu'à 6,5%», rapporte le directeur commercial de Cafpi. Montée du risque pour les banques Cela étant, si cette situation reste contraignante pour la clientèle, elle préfigure une mise aux normes pour le secteur du financement immobilier de l'avis général de la profession. D'une part, on explique que si les banques contrôlent la valeur des biens immobiliers financés à crédit, cela participera à limiter les abus commis par certains promoteurs immobiliers en termes de fixation de prix (abus qui justifient d'ailleurs en soi l'attentisme de la demande en biens immobiliers). D'autre part, la hausse des taux d'intérêt est une réponse logique des banques à la montée du risque que provoque la recrudescence des créances en souffrance. Rappelons qu'à fin juin 2009 déjà, les banques cotées à la Bourse de Casablanca (soit 6 établissements des 8 les plus actifs commercialement) ont vu leurs dotations nettes de reprise de provisions pour créances en souffrance (communément appelées coût du risque) quasiment doubler en un an pour atteindre 1,5 milliard de DH, absorbant ainsi 17% du résultat brut d'exploitation, contre seulement 9,5% à fin juin 2008. Et plus récemment, selon les dernières statistiques à fin janvier 2010 du GPBM, les créances en souffrance enregistrent une augmentation de 29,23% par rapport à la même année de l'année passée. Cette mise aux normes ralentit la croissance du crédit immobilier Un examen plus minutieux des dossiers de crédit implique un délai de traitement rallongé, ce qui retarde le déblocage des fonds. Au passage, signalons que l'attentisme adopté par la demande contribue aussi à ralentir le processus. Aussi la remontée des taux d'intérêt n'est-elle pas sans décourager les clients. En effet, selon les responsables d'agences, les prospects continuent d'affluer pour demander des simulations de crédits, mais ils vont de moins en moins jusqu'à enclencher une procédure de demande de prêt. Résultat, les crédits immobiliers marquent le pas. «Actuellement, nous traitons 2 dossiers par mois, alors qu'au premier semestre 2009 nous en recevions 2 par semaine», informe le directeur d'une agence bancaire implantée dans le quartier Maârif à Casablanca. Plus globalement, c'est tout l'encours des crédits immobiliers accordés aux particuliers qui en pâtit. Selon les statistiques du GPBM, les crédits immobiliers accordés aux particuliers stagnent depuis plusieurs mois. En effet, après des évolutions mensuelles positives atteignant les 6 ou 7% ces dernières années, ces crédits enregistrent depuis quelques mois des croissances mensuelles écrasées de moins de 1%, y compris en janvier 2010 où ils progressent tout juste de 0,75%. Reste à savoir pour combien de temps encore les crédits immobiliers vont tourner au ralenti. Une détente sur les conditions d'octroi de ces financements pourrait aider. Mais cela reste tributaire des liquidités dont disposent les banques. Or celles-ci n'ont qu'une faible marge de manœuvre. En effet, selon les statistiques du GPBM à fin janvier, les crédits à l'économie totalisent un encours de 574 milliards de DH contre 623 milliards de DH de ressources. Ce qui dégage un coefficient d'emploi pour les banques (rapport des emplois sur les ressources) d'à peu près 92%. Et quand on sait que les 8% restants sont affectés à la réserve obligatoire en placement chez BAM, c'est donc la totalité des ressources du système bancaire qui est utilisée. Il ne faut pas espérer non plus voir les banques s'engager dans une guerre des taux, puisque toutes trouvent leur compte dans le statu quo, selon les observateurs.En revanche, les conditions de financement pourraient devenir encore plus contraignantes si BAM revoyait à la hausse son taux directeur lors de son prochain conseil trimestriel. Dans ce cas de figure et si les banques ne faisaient aucune concession sur leur niveau de marge, les taux d'intérêt des crédits immobiliers devraient vraisemblablement augmenter. Les crédits à taux variables plus chers Alors que le crédit logement est déjà pris en tenaille par des conditions de financement resserrées,une autre contrainte vient compliquer davantage la situation. Il s'agit de la modification du mode d'indexation des crédits immobiliers à taux variable. En effet, jusqu'à maintenant les taux appliqués dans des formules de crédit à taux variable étaient indexées sur les taux moyens pondérés (TMP) des bons du Trésor à 10 et 15 ans sur les six derniers mois. Partant, le Trésor ne pouvait pas lever des fonds à maturité longue sans risquer d'impacter les taux pratiqués pour les crédits à taux variable. Mais au vu de ses besoins en financement, le Trésor a dû franchir le pas ces dernières semaines pour s'endetter sur le marché intérieur à long terme. Il a levé près de 100 millions de dirhams sur 10 ans, le 9 février, avant de récidiver fin février en émettant de nouveau des bons sur des maturités longues : 50 millions de dirhams sur 10 ans et 50 MDH sur 15 ans. Ce à quoi d'autres émissions à long terme et pour des volumes bien plus importants devraient suivre. Néanmoins, avant ces levées le ministère de l'Economie et des Finances a signé un arrêté pour désindexer les taux variables. Bien qu'aucune information n'ait encore filtrée sur la nouvelle formule de calcul, les professionnels anticipent à la sortie une révision à la hausse généralisée pour les taux variables. Julien Stephan, Directeur commercial de l'agence de courtage en prêts immobiliers Cafpi Maroc «Hausse notable des taux d'intérêt et resserrement des conditions de crédit» Les Echos : Avez vous perçu, de par votre activité, un resserrement des conditions d'octroi de prêts immobiliers ces derniers mois ? Julien Stephan : Notre agence est présente au Maroc de manière active depuis presque 2 ans, en tant que courtier en crédits immobiliers. C'est-à-dire un intermédiaire entre les clients et les banques, pour trouver la bonne offre bancaire pour le bon client. À ce titre, nous sommes effectivement aux premières loges pour constater les variations des taux de crédit, des conditions de prêt et les nouveaux produits de financement bancaires. Et je vous confirme que nous avons constaté il y a 6 mois, depuis août 2009 précisément, une hausse notable des taux d'intérêt et un resserrement des conditions d'octroi de crédits immobiliers. De quelle nature est ce resserrement et quels critères touche-t-il spécifiquement ? Depuis août dernier, nous avons relevé une hausse des taux d'intérêt d'en moyenne 100 points de base, qu'il s'agisse de crédit à taux variable ou fixe à profil et bien constants. Mécaniquement, les mensualités théoriques mensuelles des clients s'en sont trouvées révisées à la hausse. Et je signale au passage que certains de nos clients, qui ont vu leur capacité d'emprunt baisser entretemps, ont dû renoncer à leur achat. S'agissant de conditions de crédits en elles-mêmes, on peut citer plusieurs exemples attestant du resserrement. Tout d'abord, les quotités de financement en 2008 et début 2009 pouvaient aller facilement jusqu'à 125 % du montant du bien à l'acte (pour couvrir frais ne notaire, frais d'agence et même le «noir»). Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Nous avons également noté une plus grande prudence vis-à-vis des profils de clientèle réputés plus risqués engendrant des demandes de garanties plus importantes. Les biens immobiliers candidats au financement sont tout aussi concernés par les mesures de prudence, à savoir que les prêteurs sont aujourd'hui très attentifs à la cohérence des prix des biens qu'ils financent. Quel scénario prévoyez-vous pour les mois à venir ? Il serait difficile de fournir une réponse tranchée à cette question. Les incertitudes à l'international ont frappé le Maroc comme le reste de la planète et les organismes financiers ont cherché à contrôler ce phénomène pour se protéger. Il en résulte qu'au Maroc, les conditions accordées aujourd'hui ne sont pas aussi ouvertes que par le passé. Il faut reconnaître du moins qu'il y a du bon dans tout cela. Car on ne peut pas accorder n'importe quel crédit à n'importe quel acheteur, Ce n'est souhaitable ni pour le client ni pour l'organisme qui finance. Aussi, le secteur du financement immobilier devrait nécessairement continuer à œuvrer pour faire mieux correspondre les besoins des acheteurs et les impératifs des banques.