Mission accomplie pour la délégation gouvernementale marocaine à Paris. Le charme a opéré et la franchise des débats a rassuré les investisseurs français, venus nombreux s'enquérir de la dynamique économique et des réformes lancées par le Maroc. Ils ont été servis. Une forte délégation, présidée par pas moins de six ministres a fait le déplacement : Salaheddine Mezouar (Economie et finances), Amina Benkhadra (Energie et environnement), Aziz Akhannouch (Agriculture et pêche), Ahmed Réda Chami (Indutrie et NTI), Nizar Baraka (Affaires générales) et Yassir Zenagui (Tourisme). Avec eux, une cinquantaine de chefs de grandes entreprises marocaines menés par la CGEM, qui ont tour à tour pris la parole pour essayer de rassurer quelque 300 chefs d'entreprises françaises. Des débats animés avec brio par Jean-Marc Vittori, éditorialiste aux Echos, et francs aussi. D'entrée, Laurence Parisot, présidente du MEDEF, après avoir loué les efforts de réformes amorcés par le Maroc, a annoncé la couleur en demandant aux responsables marocains d'«éliminer la concurrence déloyale de l'informel, d'alléger la charge bureaucratique et de faciliter les conditions, pour l'entreprise française, de s'installer et de s'agrandir». Des problématiques que le patronat marocain tente de résoudre depuis de nombreuses années. C'est la raison pour laquelle Mohamed Horani, président de la CGEM, a répondu en refixant les choses dans le temps. Il est ainsi revenu sur les faits marquants de l'économie marocaine entre 2000-2010, avec une prospective sur la prochaine décennie. Le message à passer était que le Maroc n'a pas lancé les nouvelles réformes, annoncées dans le discours du 9 mars, dans la précipitation, mais qu'elles ont été longuement mûries et sont la suite logique des chantiers entrepris durant la dernière décennie. Le patron des patrons n'a pas manqué de s'attarder sur la problématique du chômage-emploi, qui semblait préoccuper l'assistance. Se basant sur les perspectives de la «vision» du patronat, Horani a promis la création de 2,5 millions postes d'emploi à l'horizon 2020. «Le projet de régionalisation n'est pas une réaction, mais un chantier sur lequel le Maroc est penché depuis dix ans et qui a été annoncé officiellement par le Souverain il y a un an. Ce sera la base d'une nouvelle ère dans l'histoire du Maroc», a-t-il martelé. D'ailleurs, les hommes d'affaires français ne sont pas restés indifférents aux réformes annoncés par le Roi. En témoigne le nombre de questions posées à ce sujet. Quoi de plus normal, dans un contexte régional marqué par les révolutions arabes et leur impact sur les régimes aux commandes. Une situation que le Maroc a géré avec beaucoup de maturité. C'est d'ailleurs ce que Salaheddine Mezouar a mis en relief : «Le Maroc est en pleine évolution, en rupture avec la rigidité des régimes arabes. Ce processus démarré il y une vingtaine d'années, relancé depuis une dizaine d'années est aujourd'hui en phase de maturité», a-t-il souligné. Le relayant, Nizar Baraka a rappelé que «le Maroc est le pays le plus et le mieux préparé pour une transition démocratique. Un processus entamé depuis 1996 avec la réforme de la Constitution, l'alternance, la libération des prisonniers politiques et la création de l'Instance Equité et Réconciliation». Et ce n'est pas Chami qui les contredira. Le ministre de l'Industrie et des nouvelles technologies a fait remarquer que «la monarchie va changer mais les pouvoirs du Roi qui vont passer à l'Exécutif requièrent une préparation sans faille». Ramenant les débat au cœur de l'objet de la visite, à savoir le volet économique, intervenants et participants se sont attardés sur les maux de l'économie nationale. La corruption, l'impunité et l'économie de rente étaient naturellement au centre des questions posées, sans complaisance aucune, par l'animateur aux ministres marocains. Mezouar, pris de court par cette parenthèse, a reconnu que la corruption existait, mais a tenu à relativiser en expliquant que le phénomène touchait essentiellement la petite corruption. «Nous sommes surtout confrontés à une petite corruption de 1 ou 2 euros sur le plan local, qui nécessite une grande sensibilisation des citoyens !». Sans commentaire ! Heureusement que Chami était là pour rebondir en parlant de la corruption à tous les échelles, insistant sur l'urgence de la lutte contre l'impunité, prenant exemple sur la cinquantaine d'arrestations de responsables communaux à El Jadida la semaine dernière. Nizar Baraka a saisi la perche et rappelé qu'«un décret portant sur la protection du dénonciateur et du témoin de l'acte de corruption, est en cours de signature». Dans le même ordre d'idées, Jean René Fortou, président de Vivendi, après avoir loué les avancées du Maroc, a mis le doigt sur la lenteur de l'administration marocaine et son coût dans l'acte d'investir. Encore une fois, la franchise des réponses et la spontanéité des membres du gouvernement n'a pas laissé insensibles les investisseurs français. La pertinence de leurs questions en témoigne. Répondant à un souci clairement affiché des investisseurs dans le secteur de la pêche et plus particulièrement sur les pratiques rentières, Aziz Akhannouch a rappelé qu'aujourd'hui, le seul critère d'octroi des permis de pêche est le respect du cahier des charges lors des appels à manifestation d'intérêts, dont les principales caractéristiques sont la valorisation, la création d'emploi et l'expertise. Pour la lutte contre l'informel, il soutient que son département a pris des dispositions pour ramener le taux de l'informel de 30 à 10%. Nizar Baraka a aussitôt rappelé que le gouvernement avait élaboré une batterie de mesures pour atténuer les effets de l'informel. À cet égard, il a cité l'allégement de la fiscalité des TPE en ramenant l'IS de 30 à 15%, en réduisant les charges patronales et salariales et en finançant la formation via un fonds de garantie pour la période d'exploitation. «60% du tissu économique est concerné par ces mesures» a-t-il ajouté. Face à ce flot d'actualité chaude et de lourds chantiers, il était impossible de passer outre le tourisme. À ce titre, Yassir Zenagui a précisé à l'assistance qu'il n'y a pas eu de transfert de touristes de l'Egypte et de la Tunisie vers le Maroc. Car, dit-il, «il s'agit de modèles et de marchés différents. En revanche, un travail intéressant se fait de concert avec les partenaires français pour rassurer le marché de l'Hexagone».Il y avait là autant d'enjeux et d'opportunités, qu'une rencontre chronométrée ne pouvait satisfaire dans le contexte actuel. C'est ce qui explique que plusieurs sous-comités se sont spontanément constitués en aparté après la levée de la séance. Le ghota du business marocain et français ne s'est pas privé de «battre le fer tant qu'il était chaud», en essayant de recruter des investisseurs potentiels sur place. Certains participants avaient l'air complètement déroutés par cet «électrochoc» maroco-français, qui a fait sauter tous les tabous et qui a ouvert une nouvelle page dans les relations entre les deux partenaires. Politique, business, économie, révolutions, manifestations... tout y est passé, même des slogans et thématiques des banderoles ont été décryptés. Décidément, le Maroc, est beaucoup plus proche des Français qu'on n'aurait osé le penser ! DNES SC Interview avec Jean-René Fourtou, Président de Vivendi Les Echos quotidien : Vous portez aussi la casquette de co-président du groupe d'impulsion des relations franco-marocaines. Comment évaluez-vous le niveau du partenariat bilatéral ? Jean René Fortou : C'est quelque chose d'extrêmement positif pour les deux pays. Ce n'est pas nouveau, mais c'est en développement continu. La politique générale du Maroc qui repose sur des plans globaux comme le plan Emergence ou la Vision 2020, aide énormément à l'investissement, en plus des relations d'amitié qui existent sur les deux bords et qui favorisent le climat de partenariat. D'ailleurs, j'insiste sur la qualité du capital humain au Maroc, car nous voyons que notre groupe Vivendi dispose via sa filiale Maroc Télécom du meilleur standard de management. Leur réussite en Afrique est révélatrice. Dans ce contexte régional très tendu, comment envisagez-vous le comportement des investisseurs français à l'égard du Maroc ? Avec ces événements, on pouvait se demander si cela a créé des inquiétudes. On a eu la réponse aujourd'hui, avec la présence de 350 entreprises et vous avez vu que leurs questions étaient pragmatiques. Dans le sens où le Maroc doit aller de l'avant, ils sont partants. Quelles seraient les priorités de réformes selon un investisseur étranger ? La priorité est la formation adaptée aux besoins de l'entreprise. Paradoxalement, les entreprises nous disent qu'elles ne trouvent pas les ressources humaines qualifiées, alors que le pays souffre du chômage. La lenteur administrative pose aussi problème, c'est un chantier sur lequel il faut beaucoup travailler.