Le métier est exercé au Maroc depuis bien des années, mais reste largement méconnu, voire confondu avec celui de jardinier ou de pépiniériste. En cause, un manque cruel d'acteurs professionnels formés pour le domaine. On compte aujourd'hui, selon les propres estimations des professionnels du créneau, quelques 200 paysagistes concepteurs, comme ils se définissent eux-mêmes. Ce sont généralement des profils ayant un niveau bac+4 ou plus, issus des écoles d'ingénieurs agronomes comme l'IAV de Rabat ou des écoles de paysagistes à l'étranger. S'il y a si peu de paysagistes professionnels, selon Idriss Saadani président de l'association des paysagistes du Maroc, c'est surtout parce que le manque d'information fait que la filière est peu connue, donc attire peu d'étudiants. Cependant, ceux qui y sont formés ne chôment pas et le métier nourrit bien son homme. «Au niveau de l'Etat, les cadres paysagistes sont recrutés avec l'échelle 11, correspondant à un salaire net de 9.000 dirhams. Dans le secteur privé, le salaire offert pour un jeune paysagiste avec une à deux années d'expérience se situe aux alentours de 15 à 20.000 dirhams», explique Anas Tazi Cherti, architecte paysagiste et enseignant à l'IPSM. En matière de carrière, les paysagistes officient généralement soit en tant qu'enseignants au niveau de la filière créée par les vétérans à l'IAV et à l'institut de formation de techniciens horticoles paysagistes de Salé, soit en tant que libéraux, en montant leur propre cabinet conseil ou bien encore en tant que fonctionnaires. Ces derniers se retrouvent au niveau des wilayas, des agences urbaines et des communes. Aujourd'hui encore plus qu'avant, le créneau se trouve face à une double équation, difficile à résoudre. D'un côté, les besoins en aménagement de paysages sont colossaux au niveau national, et de l'autre, le métier étant non réglementé, l'anarchie et l'amateurisme y règnent en maîtres. «Le public est peu sensibilisé sur le métier et il suffit aujourd'hui de savoir manier une tondeuse à gazon, pour s'autoproclamer paysagiste», déplore un professionnel. En fait, la confusion qui règne autour de la définition du métier de paysagiste et de son statut n'épargne pas non plus les diplômés, qui prônent un exercice professionnel de l'activité. À l'origine du malaise, les types de formation suivis par les concernés et les compétences dont ils sont censés être dotés. Cela a divisé les professionnels diplômés en deux blocs, répartis en associations (l'Association des architectes paysagistes du Maroc et l'Association des paysagistes du Maroc). Les deux camps se disputent autour du statut de paysagiste concepteur, que chacun cherche à s'arroger exclusivement. Derrière cette guéguerre se cachent des appétits féroces, dans l'un comme dans l'autre camp. Le marché des paysagistes vit au rythme d'une progression insolente. À travers le Plan Maroc vert, l'aménagement du littoral, le plan Azur, la mise en œuvre de la charte urbaine de la protection de l'environnement et du développement durable et l'introduction de «l'Ecos», le coefficient d'occupation du sol qui exige même des promoteurs immobiliers un pourcentage d'espace vert au niveau des hôtels, des villas et des résidences, la demande publique et privée explose et atteint, selon les praticiens du domaine, un niveau sans précédent. Mais, quoique «le gâteau» à partager soit suffisamment gros pour un créneau qui compte si peu d'acteurs professionnels, chacun des camps cherche avant tout à se mieux positionner pour engranger les marchés les plus juteux. Dans cette quête, le statut de concepteur capable de définir des stratégies et des plans d'aménagement de paysage est un atout de taille pour se placer au premier plan de tout appel d'offres. À l'inverse, le paysagiste réalisateur est beaucoup plus un opérationnel, qui intervient en aval pour exécuter partiellement ou totalement un projet à lui confié par le concepteur, en fonction de ses compétences techniques. C'est donc bien évidemment un statut moins privilégié que celui du concepteur, qui lui peut se considérer comme un expert consultant dans le domaine. Toutefois, quoi qu'occupés à cette drôle de guerre de clans visant à marquer leur territoire, les paysagistes ont en commun bien d'autres difficultés plus sérieuses qu'ils seront obligés d'affronter ensemble. Problème du marché Malgré les immenses opportunités que recèle le secteur, le marché peine à changer de comportement et à considérer le métier de paysagiste comme une activité à part entière. Selon Anas Tazi Cherti, au niveau de la demande (surtout sur le segment privé), aujourd'hui encore, il y a très peu d'appel d'offres exclusifs pour les paysagistes. Les clients confondent souvent leurs prestations avec celles de l'architecte de génie civil. C'est donc souvent celui-ci qui éclate le marché en sous-traitant la partie paysage au spécialiste. Outre cet aspect, l'inexistence de ressources humaines qualifiées est également un handicap de taille pour les consultants et entrepreneurs paysagistes. Comme l'explique Mounia Bennani, présidente de l'association des architectes paysagistes, «face aux opportunités actuelles, la vraie menace qui guette le secteur est la quasi impossibilité de pouvoir recruter de bons profils paysagistes». Cela oblige les professionnels à solliciter les compétences disponibles qui ont appris le métier sur le tas. Mais au niveau de l'Etat, qui lui aussi a besoin de fonctionnaires paysagistes, pour soutenir ses chantiers, des mesures sont prises pour pallier le manque de compétences. Selon Anas Tazi Cherti, le ministère de l'Intérieur et l'Institut de formation de techniciens horticoles paysagistes de Salé qui ne forme jusque là qu'une vingtaine de techniciens par promotion, ont récemment élaboré un programme visant à former quelques 2.000 cadres dans le domaine (ingénieurs horticoles, techniciens spécialisés, jardiniers qualifiés...) sur les dix prochaines années. L'objectif est de disposer de gestionnaires et de professionnels de terrain qui vont veiller à la réalisation des projets étatiques, notamment dans le cadre du plan Maroc Vert, de l'aménagement du littoral, et de la mise en œuvre de la charte urbaine de la protection de l'environnement et du développement durable. Pour les paysagistes œuvrant dans le privé, ces futurs diplômés seront également des interlocuteurs au niveau de l'administration publique. S.S.M Point de vue : Tazi Cherti Anas, architecte paysagiste consultant et enseignant à l'IPSM Par rapport à l'emploi créé dans la profession, que ce soit dans le privé ou le public, malheureusement, il n'y a actuellement aucun organisme au Maroc qui produit des statistiques permettant de connaître le nombre d'acteurs qui y officient et ceux qui arrivent chaque année dans le secteur. On sait par ailleurs qu'au lendemain de l'indépendance, il y a eu des gens qui ont appris le métier sur le tas et ont réalisé des choses tant bien que mal. Par la suite l'IAV avait conclu une convention avec l'ENSP (Ecole nationale supérieure des paysagistes) de Versailles pour former des architectes paysagistes. Une trentaine de diplômés ont été en tout et pour tout formés jusque-là. Après, d'autres étudiants sont partis se former à l'étranger (au Canada, en Belgique...) par leurs propres moyens. Puis il y a eu le lancement par les ingénieurs paysagistes formés par Versailles, d'une filière à l'IAV qui aujourd'hui forme les futurs paysagistes. Selon nos propres estimations, nous devons être environ 200 architectes paysagistes concepteurs au Maroc. Interview avec Idriss Saâdani, Président de l'Association marocaine des paysagistes. Les Echos quotidien : Dans votre secteur, selon différents observateurs, il y règne un flou et un désordre inquiétants. Qu'est-ce qui en est la cause ? Idriss Saâdani : Il y a un flou dans le secteur parce que pendant longtemps et aujourd'hui encore, n'importe qui qui sait manier une tondeuse à gazon peut s'autoproclamer paysagiste. Le marché a donc du mal à savoir qui est vraiment paysagiste et qui ne l'est pas. Est-ce que c'est le jardinier, le pépiniériste ? Ce n'est évidemment rien de tout cela. D'autre part, au niveau de nos grandes institutions, il n'y a jamais eu de représentation pour défendre la profession. Mais qu'est-ce que véritablement un paysagiste ? Un paysagiste est un aménageur des espaces extérieurs, toutes compétences confondues. C'est un maestro, un manager de compétences relatives aux espaces extérieurs (quand vous sortez du perron, tout ce qui s'ouvre devant vous c'est de l'espace extérieur). L'espace vert n'est que l'une de ses composantes. On peut aménager un paysage tout à fait minéral ou avec une présence végétale timide ou entièrement «végétalisée», cela dépend de l'inspiration et des besoins émis. Le paysagiste peut aussi travailler sur des macro-paysages qui traitent de la configuration de la surface d'un pays, d'une ville et là il y aura des interactions avec tout ce qui est météorologie, changement climatique... En fait, le paysage touche l'identité civilisationnelle d'une communauté humaine. Votre créneau est peu connu et a peu d'acteurs professionnels. Qu'est-ce qui explique alors le fait qu'il y ait deux associations pour la profession ? Il y a deux associations parce qu'il y a eu une scission, suite à un malentendu sur les terminologies définissant le métier. Nous sommes des paysagistes concepteurs et des consultants. Les sécessionnistes n'ont pas les mêmes compétences, ce sont à la base des architectes qui se sont spécialisés . Il y a une pluralité de spécialités dans le métier de paysagiste : architecture de l'espace, agrologie, phytologie, horticulture... mais peu importe la spécialité, il y a les paysagistes qui deviennent des consultants (conception) et ceux qui deviennent entrepreneurs (exécution). L'association des paysagistes du Maroc que nous avons créée est censée regrouper les gens de la profession, de tous bords, chose que les architectes et ingénieurs qui ont fait sécession n'ont pas acceptée.