Directeur Général d'AgriEdge Depuis les années 1990, le monde connaît des sécheresses successives, des vagues de chaleur hors norme ainsi que d'autres phénomènes météorologiques qui ne cessent d'alarmer les experts. Auparavant, seul le milieu scientifique s'inquiétait ostensiblement de ces effets de changements climatiques. Depuis quelques années, populations et gouvernements sont confrontés aux conséquences d'une croissance focalisée sur la création de richesse en oubliant les aspects environnementaux. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus prétendre que le changement climatique est sans gravité, parce que la pénurie d'eau est à un niveau critique, les terres arables sont en déclin permanent et la situation s'aggrave d'année en année. Le réchauffement climatique s'accélère et le ralentissement de cette tendance nécessite une mobilisation globale. Au fil des ans, la communauté mondiale a signé des accords et initié des projets pour agir sur ce phénomène qui, selon les experts, est la conséquence de l'activité humaine. Parmi les principales causes sont généralement cités l'industrialisation, le déboisement et la combustion d'énergies fossiles. Or, l'agriculture est l'une des principales sources d'émission de gaz à effet de serre. Celle-ci produit 23% des émissions anthropiques de GES, soit 12 GtCO2 équivalent/an. Jusqu'à présent, les enjeux de sécurité alimentaire ont généralement primé sur l'impact environnemental de l'agriculture. Et si ces enjeux restent d'actualité, plusieurs pays reconnaissent le rôle prépondérant de l'agriculture dans les émissions de GES et ont décidé de prendre action. On cite le cas du Brésil où le gouvernement a initié, en 2009, le Plan ABC, une initiative de crédit qui accorde des prêts à faible taux d'intérêt aux agriculteurs désireux d'adopter des pratiques agricoles durables. Ou encore la France où une nouvelle loi a été votée en mars 2021 sur le principe d'une redevance sur les engrais azotés minéraux considérés comme d'importants générateurs de GES. Dans le même élan, d'autres pays ont plutôt choisi de miser sur l'agriculture comme solution au réchauffement climatique. En l'occurrence ceux qui ont compris que l'agriculture peut soustraire le carbone de l'atmosphère et le stocker dans les sols agricoles, en adoptant des pratiques agricoles dites «Climate Friendly», plus connues sous la séquestration de carbone par l'agriculture ou «Carbon Farming» . En effet, le «Carbon Farming» est une opportunité pour l'humanité puisqu'il réduit le carbone dans l'atmosphère. C'est également une opportunité pour les pays puisqu'il leur offre un moyen supplémentaire d'atteindre leurs objectifs et engagements face à la communauté internationale, une opportunité pour les industries lourdes (comme par exemple les compagnies pétrolières) qui cherchent à compenser leurs émissions de GES, mais aussi et surtout une opportunité pour l'agriculteur qui peut générer des revenus supplémentaires en vendant ses propres crédits carbone sur le marché carbone. À titre d'exemple, les agriculteurs canadiens ont généré en 2021 un revenu de plus de 53 millions de USD $ issu de crédits carbone. L'agriculteur marocain tarde à s'inscrire dans cette démarche de décarbonation et de «Carbon Farming». Ce retard constitue un risque parce que son principal partenaire commercial, qu'est l'Union Européenne, va très prochainement activer son nouveau mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, synonyme de fermeture de son marché aux produits irrespectueux de l'environnement. Bien que l'agriculture et l'agroalimentaire ne semblent pas directement concernés par ces mécanismes à court terme, il en est déjà question à l'horizon 2026. AgriEdge, la Business Unit de l'université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), qui opère dans l'agriculture de précision, ambitionne d'accompagner l'agriculteur marocain dans sa transition vers une agriculture respectueuse du climat à travers des solutions commercialement viables. Il est, en effet, possible de contribuer à sauver le climat tout en enrichissant l'agriculteur. D'autres le font ailleurs. Notre aspiration, chez AgriEdge, est de le faire ici, au Maroc, et de l'essaimer ensuite en Afrique. A la question de savoir est-ce que l'agriculture peut contribuer à sauver le climat, la réponse est oui, par la décarbonation et la séquestration de carbone. À la question de savoir est-ce qu'une transition vers une agriculture respectueuse du climat peut être un choix économiquement pertinent pour les entreprises agricoles et les agriculteurs marocains, la réponse est, encore une fois, oui. À terme, cela deviendra même une nécessité pour préserver leur compétitivité. Notre écosystème agricole peut-il ouvrir la voie à une agriculture africaine durable? AgriEdge affirme tenir une partie de la réponse. La Business Unit de l'UM6P travaille, présentement, sur un grand chantier pour lequel elle a mobilisé des partenaires nationaux et internationaux du monde agricole avec pour objectif de former et d'outiller les entreprises agricoles et les agriculteurs marocains à décarboner leur production et générer des crédits carbone à travers le «Carbon Farming».