El Mootamid Abbad Andaloussi. Président de l'Union régionale du transport et de la logistique du Nord (URTL Nord) Le Maroc a adopté plusieurs stratégies relatives au transport et à la logistique, notamment la Stratégie portuaire nationale 2012-2030, la stratégie du transport routier… dans le but d'accompagner l'évolution de son économie, mais aussi de saisir de nouvelles opportunités en vue d'être intégré davantage dans un environnement mondialisé. Quel regard portez-vous sur leur implémentation à mi-parcours ? Il est incontestable que le secteur du transport et de la logistique marocain a connu un développement important, durant les deux dernières décennies, grâce à un niveau élevé d'investissements publics dans des infrastructures de haut niveau et de classe mondiale qui ont concerné tous les modes de transport : maritime, routier, ferroviaire, aérien et logistique. Le secteur privé marocain et des investisseurs internationaux ont également participé à l'émergence d'une offre logistique qualitative et aux meilleurs standards internationaux qui a permis à notre pays de se positionner dans des chaînes de valeur industrielles mondiales comme l'automobile, qui travaillent à flux tendus et où la performance logistique est déterminante. Pour accompagner la compétitivité de ses secteurs productifs, augmenter l'attractivité de l'investissement à haute valeur ajoutée et améliorer son intégration au commerce international, le Maroc a lancé plusieurs stratégies ambitieuses portant, notamment, sur la logistique, les ports, etc. Cependant, l'état d'avancement de leur implémentation varie considérablement, selon les contraintes et les objectifs de chaque stratégie. Néanmoins, l'avancement réel de chaque stratégie nécessite une évaluation de ses chantiers et projets pour disposer d'une vue d'ensemble. En général, il me semble que la stratégie portuaire est relativement bien avancée, et ce, malgré le retard dans le lancement de certains travaux et la mise en service de quelques ports. Quant à la stratégie logistique, l'AMDL avait annoncé un taux de déploiement de 14%, dix ans après son lancement. Le retard a été expliqué, notamment, par les difficultés liées à la mobilisation du foncier pour le développement des zones logistiques. Il est à noter également le manque de coordination entre les différentes stratégies sectorielles, ce qui a impacté fortement leur avancement. La crise de la Covid-19 a fortement perturbé les chaînes logistiques internationales. Concrètement, sur le terrain, assiste-t-on à une exacerbation des exigences logistiques et de supply-chain ? Avez-vous des cas concrets qui illustrent cette nouvelle donne ? Dans une économie mondialisée, les chaînes logistiques internationales sont marquées par la multiplicité des acteurs, la délocalisation de l'amont des chaînes dans les pays à faibles coûts, et la volatilité de la demande des marchés. De ce fait, la perturbation d'un seul maillon de la chaîne logistique se répercute négativement sur tout le système et engendre une incapacité de l'entreprise à servir ses clients. Depuis l'apparition de la pandémie, de nombreux secteurs clés de l'économie mondiale ont été fortement touchés (automobile, logistique...). Selon les mesures prises par chaque pays, les impacts enregistrés ont été multiples, allant de la réduction du volume d'activités jusqu'à la rupture de stock ou encore la fermeture temporaire ou totale de certaines activités. La forte augmentation du prix de conteneur du simple au double en est un exemple à fort impact sur les prix des produits à faible valeur (agro-alimentaire). La crise sanitaire, de par les perturbations qu'elle a entraînées au niveau des chaînes d'approvisionnement au niveau mondial, est en train de redessiner les schémas des flux logistiques du commerce international. La flambée des prix du fret maritime, qui s'inscrit aujourd'hui dans la durée, les restrictions des déplacements des personnes imposées notamment aux conducteurs professionnels du TIR, la nécessité de raccourcir les délais d'approvisionnement de certaines industries avec une relocalisation vers des pays proches des lieux de consommation, tout cela participe d'une nouvelle donne mondiale dont notre secteur devra tirer profit avec l'émergence de nouveaux besoins en matière de transport et logistique. Le 20 juillet dernier, en France, la loi Climat et résilience a été définitivement adoptée. Au fur et à mesure que se rapproche 2023, l'on assiste à une amplification des réglementations existantes et des mesures de décarbonation des transports. Comment les acteurs marocains du transport et de la logistique préparent-ils cette échéance? Quelles sont les actions menées dans le sens de la transition verte ? Le Maroc s'est engagé, depuis plusieurs années, à faire de son développement durable un projet de société. Le secteur du transport et de la logistique national adhère aussi à cet objectif, vu qu'il dépend à 99% des produits pétroliers importés, consomme 41% d'énergie et émet 23% du total national de GES. Dans ce sens, plusieurs initiatives ont été mises en place par le Royaume, notamment l'adoption, en 2017, d'une Stratégie nationale de développement durable, l'adoption en 2018 d'un projet de Feuille de route pour une mobilité durable, l'adoption de la Stratégie nationale d'efficacité énergétique à l'horizon 2030, ainsi que le lancement de la Stratégie de développement de la compétitivité logistique qui se fixe des objectifs ambitieux, en termes de réduction des émissions de polluants générées par le secteur. Je tiens à rappeler aussi que, lors de la COP22 organisée à Marrakech, la communauté logistique marocaine s'est montrée mobilisée en adoptant la charte marocaine en faveur d'une logistique verte. Cette charte se veut être un outil d'information sur les principes et les bonnes pratiques de la «Green Logistics» et une invitation permanente aux entreprises d'adopter ces bonnes pratiques. Par ailleurs, d'autres mesures ont été mises en place par l'Etat pour encourager la transition verte à travers des mécanismes d'appui et de financement climat pour décarboner le transport routier au Maroc. Je crois que les professionnels du secteur du transport et de la logistique marocains voient dans la réglementation sur la décarbonation des transports une chance plus qu'une menace. En effet, la plupart du parc national en camions TIR est déjà aux normes Euro 5, ce qui le place en très bonne position par rapport à cette perspective. Il est évident que nous ne devons pas se contenter de cet acquis et que nous devons aller plus loin. De plus en plus d'entreprises du transport international routier adoptent des certifications internationales relatives à la gestion de l'environnement. Nous saluons dans ce cadre les efforts de l'AMDL à ce sujet, notamment la mise en place de la Charte nationale pour la logistique verte. Observez-vous de nouvelles habitudes émerger en termes de stratégies supply-chain, de sourcing international, de logistique contractuelle, etc. Lesquelles ? La crise sanitaire a révélé les failles de la chaîne d'approvisionnement au niveau mondial. Pour y faire face, les opérateurs économiques ont dû se remettre en question et repenser non seulement leurs stratégies supply-chain, mais aussi leur cœur de métier. Dans le contexte de crise, les entreprises doivent gérer des conditions sur-capacitaires, qui les obligent à traiter des volumes toujours plus importants, voire adopter une politique de sur-stock. La supply chain doit se montrer souple, résiliente, et s'équiper de tous les outils de visibilité essentiels. Ce qui implique un autre défi de taille : être en mesure de piloter les systèmes d'approvisionnement au mieux, et pouvoir opérer des déploiements rapides. L'urgence sanitaire a aussi mis en évidence la proportion importante de composants délocalisés dans certains secteurs, tels que l'industrie automobile et pharmaceutique. La question de la relocalisation devient donc cruciale à court terme pour atténuer les risques qui pèsent sur le sourcing. Aussi, la crise sanitaire a mis en lumière plusieurs points d'alerte tels que l'engagement sur les délais clients, la variation rapide des prix de certains produits ou encore le développement de l'externalisation des activités logistiques pour se recentrer sur son cœur de métier et gagner en flexibilité. Avec la pandémie, de nouveaux défis logistiques ont émergé, notamment avec les ruptures des chaînes d'approvisionnement qui impactent et continuent d'impacter lourdement plusieurs industries. Mais je crois que la tendance la plus lourde qui a été observée est celle relative au développement exponentiel du commerce électronique qui est en train de changer les habitudes de consommation. La Logistique internationale 2.0 devra être au rendez-vous de ce défi majeur, et l'émergence d'opérateurs marocains capables d'adresser ce sujet est une nécessité. Modeste Kouamé / Les Inspirations ECO Docs