Depuis deux semaines, les hôpitaux de Tunisie connaissent un important afflux de patients atteints de la Covid-19. Avec des indicateurs épidémiologiques au rouge, la Tunisie a demandé de l'aide, à laquelle des pays sont en train de répondre, dont le Maroc. Au-delà de la décision du Roi Mohammed VI, quelle lecture géopolitique et stratégique peut-on faire du positionnement du Maroc en matière de lutte contre le nouveau coronavirus ? La situation actuelle en Tunisie est dramatique et continue de s'aggraver par la montée des contaminations et des décès liés à la Covid-19 et son variant Delta, notamment à Kairouan, Siliana, Béja, Tataouine et Kasserine. Selon le Dr Yves Souteyrand, représentant local de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la Tunisie a le taux de mortalité lié à la Covid-19 «le plus élevé» de la région et du continent africain. Le pays, qui n'a connu qu'une cinquantaine de morts de mars à août 2020, en compte désormais plus de 16.000, avec des records de 194, 189 ou 144 nouveaux décès quotidiens enregistrés ces derniers jours. Au regard de la tendance de propagation du variant Delta, tout porte à croire que le pays n'a pas encore atteint le pic épidémique «ni en termes de nombre de cas, ni en termes de décès», explique le Dr Souteyrand. Pis encore, le pays manque de vaccins, avec à peine 11% de sa population ayant reçu une dose, et 5 % deux doses. En tout, un Tunisien sur 20 est totalement vacciné, pour 12 millions d'habitants. Très loin donc de l'immunité collective, le but étant d'assurer l'accès au vaccin à au moins 20% de la population. Pour Dr Yves Souteyrand, la Tunisie «devrait être aidée, particulièrement en vaccins». «Seulement 11% des Tunisiens sont vaccinés, non pas par défiance mais par pénurie. Le système de santé cité en exemple au Maghreb depuis les indépendances s'est effondré face à la Covid-19, mais pas seulement, car la Tunisie connaît depuis la révolution une fuite intensive de médecins vers l'étranger», explique Abdelghani Youmni, économiste et spécialiste des politiques publiques. L'on mesure ainsi la portée des décisions stratégiques prises par le Maroc dans sa lutte contre la Covid-19. Les enjeux sont nombreux, à commencer par la réduction de notre dépendance aux dons et aux aléas du marché international plus ou moins inégalitaire en adoptant une stratégie visant à nous doter de capacités industrielles et biotechnologiques complètes et intégrées, dédiées à la fabrication de vaccins. Pour ce faire, le Maroc compte investir 500 millions de dollars pour devenir, dans les cinq années à venir, un champion continental du vaccin et des biothérapies, capable d'assurer les besoins sanitaires du continent à court et à long termes. Le projet intègre aussi la dimension de recherche pharmaceutique, le développement clinique, la fabrication et la commercialisation de produits biopharmaceutiques de grande nécessité, sur le continent. «On aura compris que ce n'est pas un hasard si malgré le fait que l'OMS a reconnu les vaccins des laboratoires Pfize/Biontech, des trois versions du vaccin Astra Zeneca fabriqués en Corée, en Inde et en Suède, du Janssen des laboratoires Johnson&Johnson, du Moderna ainsi que des vaccins des laboratoires Sinopharm et Sinovac, l'Union Européenne ne reconnaît que les vaccins fabriqués aux Etats-Unis et au sein de l'Union. Une telle attitude, qui n'est que géopolitique, montre bien que les vaccins réservés aux nations jugées pauvres rendent impossible la possession d'un passeport vaccinal universel qui permet de voyager dans le monde entier. À cela, s'ajoute l'opposition farouche de plusieurs dirigeants européens à l'idée de lever les brevets sur les vaccins contre la Covid-19», déplore l'expert. Le Maroc a pris d'autres mesures bien avant, dont nous récoltons aujourd'hui les fruits. Il s'agit notamment de la prise de mesures précoces et strictes pour circonscrire la pandémie, la mise en place d'un Fonds spécial pour la gestion de la Covid-19. À l'inverse de la Tunisie, le Royaume ne souffre pas d'une crise de leadership dans la prise de décision. Ce qui a plus ou moins renforcé la confiance des citoyens envers les autorités. «Nombreux sont les Marocains convaincus que si leur pays a perdu deux années de croissance économique, il a par contre gagné vingt ans de confiance de la nation envers son chef d'Etat et sa clairvoyance. Le Maroc aujourd'hui est élevé de plus en plus au rang de pays d'avenir et de terre de résilience», soutient Youmni. Le Maroc a aussi fait preuve de réactivité et de pro-activité aux premières heures du déconfinement pour diversifier son approvisionnement en doses vaccinales et déclencher la campagne de vaccination, quand plusieurs pays de la régions attendaient l'arrivée de dons de doses de vaccins des pays occidentaux via l'initiative Covax, destiné à garantir un accès équitable aux vaccins aux pays riches comme aux pays défavorisés. Aujourd'hui, le Royaume récolte les dividendes de ces choix stratégiques. Depuis le début de l'opération de vaccination au Maroc, 10.854.278 personnes ont été vaccinées (dose 1), jusqu'au mercredi 14 juillet 2021, dont 140.727 ont reçu leur première dose du vaccin ce jour, selon les données du ministère de la Santé. Une telle performance vaut aujourd'hui au Maroc d'être une exception dans la région et lui donne suffisamment de crédibilité pour se positionner en « grand-frère » sur le continent. En termes de vaccination, la Tunisie est largement au-dessous du Maroc, moins bien classé que la Jordanie, équivalent au Liban, mieux lotis que l'Egypte, l'Algérie et la Libye, et mieux que l'ensemble des pays du sud de l'Afrique. Modeste Kouamé / Les Inspirations Eco