L'heure est grave ! C'est indéniable. Toutefois, de là à parler de plan d'ajustement structurel, il n'y a qu'un pas que le ministre de l'Economie et des finances nous somme courtoisement de ne pas franchir. «Ce n'est pas un PAS», martèle Nizar Baraka pour éviter un amalgame qui ne manquera pas de tenter tout un chacun à la lecture du communiqué diffusé par le ministère en fin de semaine. «Le FMI a décidé, lors de la réunion de son conseil d'administration du 3 août 2012, d'accorder au Maroc une ligne de précaution et de liquidité d'un montant équivalent à 700% de sa quote-part dans cette institution, soit 6,2 milliards de dollars, utilisable, si nécessaire, pendant une durée de deux ans», peut-on lire dans la publication du ministère. C'est donc comme son nom l'indique, une ligne de précaution et «une assurance face à un éventuel choc exogène», comme le précise Baraka, qui espère ne pas avoir à utiliser ce qu'il compare à une sorte de facilité de caisse. Cependant, chat échaudé craint l'eau froide et le souvenir du PAS qu'a subi le Maroc pendant les années 80 est encore vivace. Aussi, dès qu'une éventuelle aide du FMI est envisagée, c'est la panique à bord. D'aucuns rappellent qu'en 1982, avant le PAS, le Maroc avait eu le soutien du FMI pour emprunter à des taux préférentiels. Le retournement de situation a fait que le Maroc a subi le PAS pendant 10 ans. Alors, cette ligne de précaution est-elle un cadeau empoisonné, ou bien est-ce simplement le traumatisme qui nous fait envisager le pire ? En tout cas, pour le ministre des Finances, la LPL est simplement une garantie qui aurait en outre l'avantage de «rassurer les investisseurs et les partenaires financiers étrangers ainsi que les agences de notation sur les perspectives économiques et financières du Maroc». Un meilleur taux qu'en 2010 Aussi devrait-elle permettre de faciliter la mobilisation de financements sur le marché financier international, à des conditions favorables. Baraka surenchérit en affichant l'ambition, grâce notamment à cette LPL, d'effectuer une levée de fonds à l'international, en octobre prochain, à un taux encore plus favorable que celui de la dernière sortie en 2010 (4,5%). Ces conditions sont sans commune mesure avec celles que subissent des pays comme l'Italie et l'Espagne à qui le marché propose des fonds à des taux historiquement élevés. D'ailleurs, toujours dans un souci comparatif, du côté du ministère, on se cache à peine pour pointer du doigt le cas jordanien. En effet, durant le même conseil d'administration du FMI, tenu vendredi dernier, la Jordanie s'est vu refuser la ligne de précaution pour se voir proposer un vrai prêt conditionné ce qui la rapproche clairement d'un éventuel PAS. Pour le Maroc, cette LPL n'est-elle pas aussi conditionnée ? Certes, admet volontiers la tutelle, tout en précisant que ces conditions sont en deçà des engagements pris par le gouvernement lui-même. En fait, il s'agit de cantonner le déficit budgétaire à 6% cette année pour le ramener progressivement à 3% d'ici 2016. «Sauf choc exogène», tient tout de même à préciser Nizar Baraka, qui argue que le fait que le Maroc ait pu défendre son éligibilité à cette ligne de précaution démontre «la solidité de l'économie marocaine et l'efficacité des politiques économiques menées par les pouvoirs publics». De fait, l'éligibilité à la LPL dépend de 5 critères que sont la position extérieure et l'accès au marché, la politique budgétaire, la politique monétaire, la solidité du système bancaire, ainsi que la qualité de l'information et des données. Force est de constater que si pour la politique monétaire et la solidité du système bancaire, le Maroc peut se targuer de bons indicateurs, ce n'est pas le cas pour la politique budgétaire et surtout pour la position extérieure, qui sont de plus en plus fragilisées par le déficit structurel de la balance commerciale. Comité de compétitivité C'est d'ailleurs, le cœur même des difficultés qui nous ont poussé à rechercher des portes de sortie. Le ministre des Finances l'admet volontiers et explique même que nos réserves en devises sont passées en dessous des 4 mois d'importation. C'est un niveau jamais atteint depuis les années 80 justement, même si Baraka estime que s'il faut indéniablement réagir, aux yeux des institutions internationales le seuil critique est celui des deux mois de réserves d'importations. La marge s'affine donc, mais est encore là, à en croire le chef du département des Finances, qui compte réagir en mettant en place un comité mixte de compétitivité. Il s'agit en quelque sorte d'une reprise du concept de comité de veille stratégique créé sous le précédent gouvernement, mais avec une démarche différente. Le ministre estime que les comités de veille s'étaient transformés en cellules de quête pour certaines entreprises et que les comités de compétitivité vont s'inscrire dans une démarche plus exhaustive, en intégrant les partenaires. Il ne faut pas croire toutefois que des solutions miracles vont apparaître et le discours est désormais bien rodé à destination des entreprises exportatrices. La piorité est à la diversification des marchés, avec une préférence pour l'Afrique, où nos opérateurs peuvent bénéficier de l'expérience de leurs devanciers banquiers, assureurs, cimentiers, etc. Toutefois, les causes du déséquilibre de notre balance commerciale et au de là de notre balance des paiements, provient aussi de l'explosion des importations. Si Baraka se réjouit qu'une bonne partie de ces importations concerne les biens d'équipement, dénotant ainsi de la vivacité du tissu économique, il est conscient qu'une grande part de ces importations échoit aussi aux biens de consommation et surtout à la facture énergétique. De plus, la baisse de l'euro par rapport au dollar gonfle encore plus cette facture. Le Maroc s'apprête à traverser une à deux années difficiles, durant lesquelles des réformes profondes devront être mises en place dans la douleur. Le chef du département des Finances ne s'en cache pas, mais préfère parler de fenêtre d'opportunité. Après tout, en chinois, le même mot veut dire crise et opportunité... Le compte est bon ? Au registre des solutions financières aux difficultés actuelles des finances publiques, Baraka joue la diversité. Avant tout, il s'agit de faire des économies, estimées à 5 milliards de dirhams au titre des dépenses de fonctionnement. L'Etat devrait aussi faire des économies de fait au vu du retard accumulé sur certaines dépenses programmées. Difficile toutefois d'avancer un chiffre sur ce registre. La hausse des prix du carburant devrait aussi permettre au Trésor de récupérer 5 autres milliards de dirhams. Toutefois, l'essentiel des rentrées devrait provenir de l'extérieur. Dans ce sens, Baraka explique que le Conseil de coopération du Golfe a décidé de nous octroyer 5 milliards de dollars sur cinq ans. Ce à quoi, il faut rajouter le montant qui sera levé lors de la sortie à l'international programmée pour octobre. Le ministre a parlé d'un montant qui avoisinerait 750 millions de dollars. En outre, la nouvelle loi bancaire est enfin bouclée et devrait permettre via son chapitre sur la finance islamique d'accéder au Soukouks, un canal très privilégié par les fonds d'investissement arabes. En somme, avec toutes ces rentrées d'argent prévues, il n'y a pas de cessation de paiement en vue. Toutefois, d'aucuns s'alarment déjà contre une dérive qui nous verrait pencher vers un argent facile en oubliant les réformes structurelles nécessaires et surtout urgentes.