«Malgré les progrès qui ont été faits par la région au cours de la dernière décennie, le modèle de croissance actuel n'est ni inclusif, ni durable». C'est en ces termes critiques que la Conférence des Nations-Unies pour le commerce et le développement (CNUCED) entame son dernier rapport sur le développement économique en Afrique. Au cœur de sa démonstration, sa rupture avec les idées reçues sur l'abondance des réserves naturelles dans le continent, qui seront ainsi amenées à s'épuiser au fil des ans. La dépendance des pays africains de l'exportation des ressources non renouvelables, conjuguée à l'état embryonnaire de l'industrie africaine et à la part négligeable de la production agricole africaine, incite la CNUCED à proposer une croissance tirée par les exportations de ressources naturelles, mais plus «pérennes». Une dépendance «inquiétante» Plusieurs raisons concourent à l'insoutenabilité du modèle de croissance africain. La première, est celle qui a fait que les «pays africains (soient) fortement tributaires des ressources naturelles en tant que moteur de la croissance économique». Considérant ainsi que «la plupart de ces ressources – combustibles fossiles, minéraux métalliques et non métalliques - sont non renouvelables», la CNUCED s'inquiète de leur caractère non pérenne. Ces ressources sont, en effet, «en train de s'épuiser à un rythme très rapide, avec des conséquences négatives pour la croissance future et la durabilité», note le rapport. Dans un autre rapport publié en mai dernier, le Fonds monétaire international (FMI) quantifie cette dépendance. «Près de 15% de la production annuelle de l'Afrique subsaharienne et 50% de ses exportations proviennent de ressources naturelles non renouvelables», estime Jon Shields pour le FMI. À l'image de la CNUCED, le FMI considère que «les gouvernants (en Afrique) devront (...) composer avec le fait que l'épuisement des ressources naturelles va faire décroître les recettes publiques», mais distille très subtilement, quelques lignes plus loin, l'idée défendue par Collier (2011), selon laquelle «il est probable que la majeure partie des immenses réserves subsahariennes de ressources naturelles exploitables reste encore à découvrir, car», explique le rapporteur, «les stocks identifiés à ce jour demeurent très inférieurs aux stocks identifiés dans le reste du monde». Une réalité, deux scénarios, qui croire ? Ce qui est sûr, c'est que d'un pays à l'autre, l'épuisement des ressources, s'il est avéré, n'aura pas le même effet, selon que ces ressources entrent pour beaucoup ou non dans le total des exportations. Le topo est le suivant: «20 des 45 pays d'Afrique subsaharienne peuvent être considérés comme des exportateurs importants de ressources naturelles, (...) Sur ces 20 exportateurs de ressources naturelles, 10 sont budgétairement tributaires des recettes liées à la production de ressources naturelles», constate la CNUCED. Un pays comme l'Angola se trouve dans la situation où le pétrole représente par exemple 100% de ses exportations sur la période 2005 - 2010. D'ailleurs, poursuit la CNUCED, c'est dans les pays exportateurs de pétrole que «la proportion des exportations de ressources naturelles, à la fois par rapport aux exportations totales de marchandises et au PIB hors ressources naturelles, est la plus élevée». Cette tendance risque de durer, depuis que «certains pays actuellement considérés comme pauvres en ressources naturelles ont néanmoins un potentiel d'exportation non négligeable», affirme le FMI. C'est le cas essentiellement du Mozambique, de l'Ouganda, du Libéria, du Ghana et du Malawi. Cette dépendance pose problème, tant du fait de l'épuisement des ressources non renouvelables avec le temps que pour la gestion des recettes tirées de leurs exportations. Le rapport rappelle à ce propos que, «l'extraction des ressources» étant «un processus à forte densité capitalistique», fait que «l'essentiel des capitaux et des compétences est fourni par les sociétés internationales, la majeure partie des revenus générés va à des entités étrangères». Il y a en outre le fait que «la production agricole par habitant et la productivité dans la région sont encore faibles par rapport à la moyenne mondiale». Selon l'Organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial, «30% de la population totale d'Afrique subsaharienne est estimée avoir été sous - alimentée en 2010». Une industrialisation nécessaire. Croissance tirée par les exportations de ressources naturelles, production agricole insuffisante, la CNUCED fait la lumière sur une troisième caractéristique du modèle de croissance actuel en Afrique, «la désindustrialisation». De 15% en 1990, la part du secteur manufacturier dans le PIB est passée en effet à 10% en 2008, soit une baisse de 50 %. À cela s'ajoute une urbanisation croissante, tirée non pas par l'industrialisation, mais plutôt par la gestion des ressources naturelles. Ces quatre grands facteurs font que «le modèle actuel de croissance économique de l'Afrique est particulièrement inquiétant», surtout qu'on sait que les jeunes Africains compteront pour «29 % de la population mondiale des 15 - 24 ans en 2050». La CNUCED prend l'exemple du printemps arabe en Afrique du Nord pour démontrer que «la voie du développement qui génère de la croissance sans une amélioration significative de l'emploi est susceptible de créer des troubles sociaux». D'où vient alors le mirage de la renaissance de l'Afrique que d'aucuns clament depuis 2008 ? Pour la CNUCED, c'est parce que les changements structurels des 30 dernières années, qui tirent la croissance dans le continent «ont été associés à l'importance croissante de l'économie marchande et des activités informelles», sans qu'il y ait de fait «passage d'activité à faible productivité à des secteurs à forte productivité». La croissance, pour la CNUCED, passe par «une transformation structurelle», qui implique «une augmentation de la part du secteur manufacturier, une productivité élevée, des moyens de production moderne et une augmentation de la productivité agricole». Toutefois, prévient la CNUCED, elle est «à double tranchant», en ce qu'elle «impose des coûts importants pour les systèmes écologiques». Les gouvernants sont ainsi appelés à «améliorer l'efficacité d'utilisation des ressources». Autrement dit, les pays africains, en œuvrant en parallèle pour une industrialisation de leurs économies, pourraient continuer un certain temps à soutenir la croissance par les exportations de ressources non renouvelables, si toutefois elle rend ses «stratégies de croissance» plus «compatibles avec l'objectif de développement durable».