Fatima Boukhriss, chercheure en arts et lettres Les échos : Quelles sont les expressions symbolisées par les chorégraphies des troupes? Fatima Boukhriss: Les chorégraphies sont, à leur origine, une simulation, ou une imitation de phénomènes relevant des activités sociales ou autres pratiques culturelles de la communauté. Ces significations primaires ont disparu sans être consignées par l'histoire. Il faudrait se référer aux études effectuées dans ce domaine. Mais, on pourrait dire que la forme du cercle, forme initiale des danses collectives au Maroc, est symbole de solidarité, de l'unité de la famille, du groupe. Et quel est le rôle incarné par la femme ? Les chorégraphies amazighes, représentées par les danses collectives notamment, constituent un espace de communication et d'échange par les productions poétiques. Par ces chants, des messages, des sous-entendus, des informations, des critiques... sont échangés dans le respect des règles de bienséance. Pour ce qui est de la femme, elle est membre du groupe des danseurs au même titre que l'homme. Une précision s'impose : même si on a souvent défini ces danses comme étant mixtes, les femmes se doivent d'y participer dans le plus grand respect des règles de la danse. En général, elles se placent à côté d'un membre de la famille (mari, frère, cousin). Dans le passé, les femmes portaient un voile, s'il se trouve qu'elle est entrain de danser aux côtés d'un étranger. Si cette pratique existe encore dans certaines régions du Sud, de nos jours, bien qu'elles ne soient plus voilées, elles doivent regarder droit devant elles. Il ne faut pas sourire, ni faire de gestes en dehors de ceux requis par la danse. Ajouté à cela, les femmes ne jouent pas avec les instruments de musique. C'est l'apanage des hommes. Ce n'est qu'une fois seules qu'elles jouent avec allun/ttart (le bendir) ou autre. Ces expressions ne sont-elles pas susceptibles de tomber en désuétude ou de subir des détournements au fil du temps et des générations ? Justement, s'il n'y a pas d'actions effectives de sauvegarde et de valorisation de ces expressions, elles finiront par tomber en désuétude et disparaître avec le temps, n'ayant plus de fonction à remplir. Elles sont même menacées d'hybridation et de transfiguration. On assiste depuis plusieurs années à la professionnalisation des danses collectives. De moins en moins de personnes pratiquent ou mêmes invitent les danses d'Ahidous, d'Ahwach pendant les fêtes familiales. L'on fait plutôt appel à des professionnels ou des groupes qui puisent dans le répertoire marocain dans sa diversité (ce qu'on appelle lgroup en arabe marocain). D'où la nécessité d'un plan de sauvegarde de nos expressions culturelles. D'abord, heureux de noter la naissance de plusieurs associations ayant pour but la promotion des expressions chorégraphiques amazighes. Cependant, des efforts au niveau de la formation sont à déployer. J'implore l'enseignement de la musique traditionnelle dans les conservatoires de musique et son introduction dans les cours de danse. Il serait aussi intéressant de mettre à contribution les nouvelles technologies qui faciliteront les opérations de collecte et d'enregistrement.