Encore une enquête qui vient s'ajouter à la longue liste des études menées dans le secteur de l'emploi, particulièrement celles relatives aux jeunes. La dernière en date que vient de dévoiler la Banque mondiale, hier à Rabat, converge dans le même sens que celles publiées jusque-là et qui tendent à reconnaître que la question est devenue un défi majeur pour le gouvernement, qui se trouve interpellé au plus haut niveau, tant par les spécialistes que les jeunes. Cela tombe, opportunément, fort bien puisque la question de l'emploi et du chômage des jeunes a été au cœur du débat parlementaire tenu hier sous l'hémicycle, à l'occasion de l'exposé du chef de gouvernement devant les parlementaires. Abdelillah Benkirane a dévoilé les grandes lignes de la politique qu'entend mener le gouvernement, dont il assure la direction. Pas de grande annonce, jusque-là, juste la création d'une commission interministérielle présidée par Abdallah Baha, le ministre d'Etat et qui regroupe plusieurs départements dont celui de l'Emploi afin de donner un sérieux coup d'accélérateur à la prise en charge effective de ce phénomène, qui s'affirme avec beaucoup plus d'ampleur, comme en témoignent les récentes statistiques publiées par le HCP. Une véritable bombe à retardement dont les principaux acteurs, gouvernement comme partenaires, sont véritablement conscients mais peinent à trouver la solution miracle. Benkirane réussira-t-il mieux que les autres ? À défaut de pouvoir parier sur l'avenir, la déclinaison des grands axes de la nouvelle politique gouvernementale sera déterminante pour entrevoir l'issue de sa mise en œuvre, puisque comme l'illustre l'enquête de la Banque mondiale, les politiques publiques en matière d'emploi structurent, dans l'ensemble, les leviers de sortie de ce bourbier. C'est d'ailleurs là le véritable intérêt de cette enquête qui se base sur celle menée en 2010 par le ministère de la Jeunesse, en plus d'études et de discussions sur le terrain menées par les équipes de l'institution internationale. Les sources du mal S'il s'agit de tenir compte de ce que pensent les jeunes, l'étude relève qu'en général leurs opinions par rapport aux politiques d'emploi ne diffèrent pas du consensus auquel sont parvenus la plupart des spécialistes dans le domaine. «Le gouvernement a un rôle important à jouer en termes de création d‘emplois, même s‘il ne s‘agit pas nécessairement d‘emplois dans le secteur public», indiquent les jeunes qui ont été sondés pour le besoin du rapport. De nombreux jeunes estiment, en effet, que «le gouvernement doit stimuler plus d'investissements privés et améliorer la qualité des emplois du secteur privé en protégeant les droits fondamentaux des travailleurs». Un avis qui sonne comme une interpellation, en bonne et due forme, des autorités à mieux agir sur le levier de l'investissement pour assurer une réelle prise en compte des nombreux défis dans ce domaine. La question de l'employabilité des jeunes appelle, en effet, à une approche plus globale du phénomène, qui nécessite un réajustement à tous les niveaux. Selon l'enquête, la plupart des jeunes considèrent que la source du mal se situe en amont de l'accès au marché du travail. Il s'agit d'abord des formations dispensées qui ne répondent pas au besoin de l'économie moderne en dépit des mesures adoptées ces dernières années pour mettre l'accent sur les formations professionnelles ou qualifiantes. Ce qui peut aisément s'illustrer à travers les chiffres officiels des ministères de l'Emploi, de la formation professionnelle ou même de l'Enseignement supérieur. Cependant, le diplôme est-il suffisant pour prétendre accéder à un emploi décent ? Apparemment non, comme en témoigne la réponse d'une jeune femme de Casablanca, titulaire d'un diplôme en menuiserie, «les diplômes universitaires ne suffisent pas. Ce qui est requis, c‘est une spécialisation et de l'expérience. Il est également nécessaire qu'on vous recommande ; sinon, il est impossible de trouver un emploi». Un témoignage qui met en relief un autre aspect de la difficulté quotidienne que vivent, aujourd'hui, les jeunes Marocains pour obtenir un travail, celui de l'accès à l'information et à l'orientation sur le marché de l'emploi. Selon les résultats de l'enquête, «dans près de la moitié des débats lors des groupes de discussion, les jeunes ont déploré le manque d'informations publiques et d'orientation générale pour faire des choix déterminants en matière de formation et de carrière». Résultat, pour la plupart des jeunes, et surtout ceux provenant des classes moyennes, «les familles restent les principales sources de conseils de carrière». Il va de soi, dans ce cadre, que la qualité même des conseils dépende fortement du milieu familial dont sont issus les jeunes. L'autre frein de blocage constitue la recherche du premier emploi. Le patronat a certes initié quelques pistes notamment pour les stages dans le cadre de sa vision 2020, mais à l'évidence, ce qu'attendent les jeunes est plus simple que ça. Pour beaucoup d'entre eux, en particulier ceux qui se trouvent en dehors des grands centres urbains, les mécanismes d'encadrement restent largement inadaptés. Il est vrai que jusque-là, c'est l'Agence nationale pour la promotion de l'emploi et des compétences (ANAPEC) qui essaie tant bien que mal d'assurer cette mission, mais selon les jeunes, son impact reste très limité. L'enquête sur les jeunes a ainsi montré qu'une grande majorité des jeunes chômeurs interrogés ne savait pas que l'ANAPEC existait ou ne faisait pas appel à ses services pour trouver un emploi. Opportunités régionales Au delà donc des problèmes liés à la formation, à la recherche des stages, les jeunes ont d'autres soucis qu'il faudrait bien intégrer dans la déclinaison des politiques publiques à venir afin de s'assurer du maximum d'efficacité des mesures qui seront mises en œuvre. C'est en ce sens que sur la base des résultats de l'enquête, la Banque mondiale a préconisé toute une série de mesures allant dans le sens d'une approche globale du phénomène, mieux, une véritable coordination des différents programmes gouvernementaux pour assurer un meilleur impact des politiques publiques en matière d'emploi des jeunes. Les opportunités ne manquent d'ailleurs pas pour le Maroc, dont l'économie est en pleine restructuration. À ce niveau, l'étude de la Banque mondiale a mis en exergue un puissant levier qui pourrait constituer, en partie, une solution à ce fléau. Il s'agit de la mise en œuvre de l'administration régionale et locale. Celle-ci, pourrait en effet, permettre une prise en charge de la question à deux niveaux. D'abord, la création de nouveaux emplois mais également la coordination des politiques publiques au niveau local. «Les administrations locales pourraient assurer la coordination en assurant l'intégration au niveau local, en réduisant le chevauchement des mandats dans une même région et en améliorant les synergies entre les programmes locaux et nationaux» recommande la Banque mondiale. Une piste de réflexion pour la commission ad hoc de Baha, en attendant ses premières propositions. Ce qui est sûr, c'est que si aucune recette miracle n'existe, des solutions existent bel et bien.