Amère, la situation du business des câpres. Ces petits condiments très utilisés dans la cuisine méditerranéenne «marinent» depuis près d'une décennie une situation où le chiffre d'affaires global de la filière s'est vu divisé en deux. À savoir qu'il s'agit d'une activité où le Maroc est considéré comme premier producteur et premier exportateur au monde, devant la Turquie, avec 50% de la production mondiale provenant du Maroc. En 2011, le chiffre d'affaires de la filière s'est élevé à 160 MDH. «Selon les récoltes, le Maroc produit entre 10.000 et 12.000 tonnes de câpres par an. La Turquie nous suit avec près de 10.000 tonnes produites par an», estime Driss Guessous, président de l'Association des exportateurs de câpres (AEC) et directeur de la société Urcimar. Spéculation à outrance Estimées à quelques 6.000 hectares, les surfaces de câpriers se répartissent entre la région de Fès, qui supporte 50% de la production nationale, et Safi, pour les 50% restants. Gérées par des petits agriculteurs, les plantations de câpriers sont soit sauvages (50%) soit en ligne (50%). Entre ces petits agriculteurs et les transformateurs-exportateurs – des conserveries – les intermédiaires font la loi. «Sur le marché des câpres au Maroc, la spéculation est très forte de la part des intermédiaires. À la récolte, le prix à l'achat est d'au maximum 5 DH le kilo. Mais en tant qu'exportateur, nous achetons nos câpres à 20 DH le kilo auprès d'intermédiaires qui ont rassemblé un volume suffisant pour répondre à la demande de nos clients», explique ainsi Abdelhak Benzakour Knidel, directeur commercial de Sicopa. «Cette spéculation engendre des prix de vente très instables. Les exportateurs manquent alors de visibilité et le Maroc arrive sur le marché mondial trop cher comparé à la Turquie, la Syrie ou l'Ouzbékistan. Les importateurs ne veulent donc pas des câpres marocaines», continue-t-il. C'est la raison pour laquelle Sicopa a choisi d'investir en Turquie. «En 2011, en l'espace de 2 semaines, les prix à l'achat ont augmenté de 35%. Les prix flambent et nous ne pouvons pas suivre. Pourtant la demande est très forte, surtout sur le marché allemand», confirme pour sa part Asmaa Missa, gérante de Wassa. Or, Wassa ne réalise que 2% de son chiffre d'affaires grâce aux câpres. Cette forte implication d'intermédiaires gêne également l'organisation du secteur. «Nous avons des difficultés à nous organiser en agrégation. Les agriculteurs manquent de confiance en nous. Pour autant, il nous faut absolument organiser notre filière en amont. Pour cela, il nous faut un modèle de partenariat agriculteur/industriel» argumente Driss Guessous. «Les agriculteurs ne font pas d'efforts. Nous leur achetons la marchandise avec 30 ou 40% de déchets car ils ne font pas le tri», argue Driss Guessous. Or, le manque de discipline observée chez des agriculteurs non formés, ajouté à des difficultés de recrutement lors des récoltes (juin-août), fragilise la filière. Alors qu'il y avait plus de 10 opérateurs, il y a 10 ans, ils sont aujourd'hui moins de 10, et deux industriels, Les Conserves de Meknès (Aïcha) et Urcimar détiennent à eux deux 70% du marché. À savoir par ailleurs que la quasi-totalité de la production locale est exportée. Très demandeuse, l'Europe absorbe 70% des exportations de câpres marocaines. L'Italie, l'Espagne, l'Allemagne...autant de pays consommateurs de câpres marocaines. Tandis que 30% des câpres marocaines filent vers les continents américains. Pour renforcer et protéger le secteur, un plan d'actions, qui prévoyait notamment la création de 3 centres de ramassage de câpres à Fès, a été initié avec l'Office de commercialisation et d'exportation (Maroc Taswiq), il y a deux ans, mais ce dernier peine toujours à être réalisé. Se diversifier pour survivre Les transformateurs, principalement des unités de conserverie de produits agricoles, sont alors obligés de se diversifier pour pallier aux baisses d'activités. Le numéro un du secteur des câpres au Maroc, Devico Aïcha, qui détient 50% des parts du marché des câpres, est ainsi bien plus connu pour ses confitures que pour ses câpres, même chose pour Wassa. Pour ce dernier, qui ne produit que 15 tonnes de câpres par an, seulement 2% du chiffre d'affaires sont issus de leurs ventes. Alors que 50% du chiffre d'affaires étaient tirés de celles-ci. Sicopa en tire aujourd'hui moins de 10%. Sa part de marché a même fondu pour passer de 30% à moins de 10%. Les olives, citrons confits ou poivrons farcis remplacent petit à petit les bocaux de câpres. Chacun de leur côté, les professionnels de la câpre réfléchissent donc à leur survie. Certains s'éloignent des câpres, d'autres imaginent une nouvelle façon de valoriser le produit. Chez Urcimar, malgré une diversification amorcée depuis les années 2000 avec les olives et les piments (40% du CA), la câpre reste un produit stratégique pour l'entreprise. La câpre Urcimar se retrouve ainsi parfois dans les conserves de poissons.