«Le modèle de croissance basé sur la demande intérieure est confronté à un problème de financement», avance Ahmed Lahlimi Alami, haut-commissaire au plan, à l'occasion d'une conférence de presse organisée mercredi soir à Casablanca. Le HCP y a exposé son budget économique prévisionnel pour 2012 et surtout les perspectives de l'économie nationale à l'horizon 2015. Pour 2012, le Haut-commissariat table sur une croissance de 4,1%. Les activités non agricoles s'accroîtraient, globalement de 4,9%, alors que le secteur primaire devrait enregistrer une baisse de sa valeur ajoutée de 2,2%. Encore que Lahlimi estime qu'il faut attendre les quelques semaines qui viennent pour déterminer avec plus de précision la teneur de la campagne agricole 2012, qui de toute façon devrait se situer à un niveau moindre par rapport aux années précédentes. En fait, c'est la demande intérieure qui devrait continuer à tirer la croissance économique nationale. La consommation des ménages s'accroîitrait selon le HCP de 5% en volume, celle des administrations publiques de 2% et la formation brute du capital fixe de 6%. Ainsi, la contribution de la demande intérieure serait encore plus élevée, avec 5,4 points de croissance en 2012 au lieu de 4,8 points en 2011. Le financement ne suit pas ! Mais là où le bât blesse, c'est au niveau du financement, puisque le déficit courant des échanges extérieurs devrait atteindre 7,1% du PIB en 2012. En fait, cela traduit l'écart important entre le taux d'épargne nationale, en légère amélioration, 29,9% du PIB en 2012, et le taux d'investissement, qui devrait atteindre 37% du PIB. Le haut-commissaire au plan souligne d'ailleurs que le taux d'investissement est le plus haut parmi les pays émergents, si l'on excepte la Chine, avant de poser la question de la soutenabilité d'un modèle de croissance économique tiré par la demande intérieure. Lahlimi estime d'ailleurs que, dans ce sens, la problématique du financement de l'économie devrait être au cœur des préoccupations de notre pays. Il en atteste l'urgence, en expliquant que la capacité de financement s'est détériorée, étant donné que le taux de couverture des investissements par l'épargne, qui représentait plus de 109% en 2006, ne dépasse pas aujourd'hui 80%. Aussi, le HCP a-t-il établi trois scénarios pour analyser la soutenabilité du présent modèle. Ainsi, il met en avant un premier scénario dit de référence, qui se situe dans le prolongement des tendances passées et des stratégies annoncées. Ce scénario prend en considération le coût global des investissements programmés dans le cadre des stratégies sectorielles annoncées, soit près de 300 milliards de dirhams d'ici à 2015. Il intègre également les effets de la revalorisation des salaires dans le cadre du dialogue social sur les dépenses de fonctionnement. D'autres hypothèses ont été retenues dans le cadre de ce scénario, notamment le maintien des taux apparents de la fiscalité par rapport au PIB, un baril à 100 dollars ou encore des transferts reçus de l'extérieur en maintien. Une croissance à 5,5% Dans ce cadre, le HCP table sur une croissance économique prévisible de 5,5% en moyenne annuelle entre 2011 et 2015. Aussi et malgré une accélération du rythme de croissance des exportations par rapport aux importations, leurs termes d'échanges seraient en détérioration et le déficit en ressources serait de 14,2% du PIB en moyenne annuelle durant la période 2011-2015. Toutefois, c'est le financement de l'économie qui inquiète le plus le HCP. L'augmentation des dépenses publiques, conjuguée à un ralentissement anticipé de l'amélioration des recettes fiscales aggraverait davantage le déficit budgétaire. Celui-ci serait de l'ordre de 6,3% en 2015. Dans ces conditions, l'endettement public direct total s'accroîtrait de près de 7 points en pourcentage de PIB, pour atteindre près de 60% en 2015. D'autre part, le solde courant de la balance des paiements continuerait sa détérioration pour passer de 6,6% à 8,5% en 2015. Pour couvrir ce déficit, et sur la base de l'hypothèse retenue par le HCP pour les IDE, d'un montant de 3% du PIB, le niveau de la dette extérieure atteindrait 37,1% du PIB en 2015. Cette évolution imfluerait sur le niveau des réserves de changes, qui devrait représenter 3,8 mois d'importations de biens et de services au même horizon. Le scénario du pire Ces chiffres sont alarmants, mais pourraient être bien pires, sous la contrainte d'un contexte international plus difficile. C'est justement l'hypothèse prise dans le cadre du deuxième scénario du HCP qui prévoit un baril à 150 dollars et des taux d'intérêt sur le marché international qui se situeraient à près de 6%. Dans ce scénario, le déficit budgétaire global risquerait d'atteindre un niveau insoutenable, de l'ordre de 8,9% du PIB en 2015, et le déficit du compte extérieur 10% du PIB. «Ceci remettrait en cause la solvabilité des finances extérieures et affecterait l'attractivité du Maroc au niveau des marchés internationaux de capitaux», s'alarme-t-on du côté du Haut commissariat au plan. Aussi, Ahmed Lahlimi laisse-t-il la porte ouverte à un troisième scénario plus optimiste, dit de rééquilibrage. Le HCP explique dans ce sens que «cette situation n'est pas fatale. Avec l'évolution que connaît son paysage institutionnel et politique, le Maroc est d'autant plus armé pour approfondir les réformes de structure au plan économique et social, afin d'assurer à sa croissance économique plus de force et de durabilité, tout en consolidant sa cohésion sociale». Dans ce cadre, le HCP estime que la croissance économique serait ainsi d'environ 5,8% par an entre 2011 et 2015 au lieu de 5,5%. Enfin, le déficit budgétaire et le déficit courant de la balance des paiements se situeraient respectivement à près de 3,7% et 4,2% du PIB... Où va-t-on? «Où nous mènera ce modèle en 2015 ?», se demande Lahlimi, tout en s'empressant de donner des scénarios alarmants qui plaident contre la soutenabilité du modèle basée sur la demande intérieure et surtout les problèmes de financement de l'économie auxquels il fait face depuis 2007. Aussi défend-il un rééquilibrage du modèle économique. «On sera peut être obligés de revoir et de restructurer nos plans d'investissement ou tout du moins le planning de leur réalisation», argue-t-il dans ce sens, avant d'envisager la probable nécessité d'un arbitrage entre les différents plans sectoriels et les différents chantiers lancés ces dernières années dans le royaume. Toutefois, il se garde bien de baliser cet arbitrage, en désignant les secteurs et les chantiers prioritaires, en renvoyant la balle vers les politiques. Toujours est-il qu'il estime que la législature actuelle s'ouvre sous de bons auspices, avec une nouvelle Constitution et un gouvernement avec une majorité relativement confortable. Ces atouts devraient permettre au gouvernement de mener à bien les réformes structurelles nécessaires au rééquilibrage, que Lahlimi appelle de ses vœux.