Maryam Touzani. Cinéaste marocaine Dans «Adam», film en compétition dans la catégorie «Un certain regard», Maryam Touzani bouleverse la Croisette en posant son regard sur la maternité et l'amitié. Elle parle du combat de deux femmes, brillamment campées par Nissrin Erradi et Loubna Azebal. Rencontre avec la cinéaste de l'humain. Samia, vous l'avez connue il y a plusieurs années. Pourquoi raconter l'histoire maintenant ? Ça s'est manifesté quand je suis tombée enceinte. Quand j'ai commencé à sentir mon enfant à l'intérieur de moi. J'ai commencé à repenser à cette femme que j'ai connue, que mes parents ont accueillie à Tanger le temps qu'elle accouche. J'ai vécu avec elle cette expérience de la maternité et de ce déchirement quand elle a dû donner cet enfant à l'adoption. J'avais vu cela, de l'extérieur, j'avais 22-23 ans, je comprenais certaines choses, j'avais senti la détresse, la tristesse mais ce n'est qu'en tombant enceinte à mon tour que tout cela a resurgi. C'était inconscient presque. Je pensais à elle sans cesse. J'ai commencé à écrire. Je me suis rendu compte qu'il fallait que ça sorte. Je ne savais pas sous quelle forme. J'ai juste écrit. Je voulais que cette histoire trouve une sortie. C'était très fort émotionnellement pour moi. De ressentir la maternité de ce point de vue de là, du point du vue d'une mère qui décide de donner son enfant, de choisir de ne pas l'aimer ou de s'en convaincre. De voir cette fibre maternelle se réveiller malgré tout. Cet enfant s'est imposé à elle. C'est quelque chose de bouleversant. Surtout quand on le sent dans sa propre chair. Est-ce que l'histoire s'est manifestée vite ou avez-vous mis du temps à l'écrire ? Non, cela s'est fait relativement vite. Je suis tombée enceinte pendant le film «Razzia ». J'étais enceinte de 4-5 mois pendant la post production du film. J'ai commencé à ressentir le film physiquement même mais ce n'est pas que l'histoire de Samia. C'est l'histoire de deux femmes. L'histoire de Abla, veuve qui n'arrive pas à faire face à sa réalité, de sortir de son deuil. Ce que j'ai vécu avec cette mère a été rattrapé par mes blessures à moi, mon rapport au deuil. C'est comme ça que ces deux personnages sont nés. Il n'y a pas que Samia. Il y a Abla. J'ai écrit, sans me dire que ce sera l'histoire de deux femmes et d'une petite fille. J'écris sans réfl échir. C'est presque automatique. En finissant d'écrire, je suis allée présenté le film au CCM. J'étais à terme. J'ai pris la route de Casablanca à Rabat. J'aurai pu accoucher sur place ! (Rires). Comment avez-vous construit ce personnage de la petite fille qui réconcilie Samia à la maternité et Abla à la vie ? Vous savez, j'ai quelque chose de particulier avec les enfants. Mes courts métrages sont des points de vue d'enfants. Les enfants portent une vérité que nous adultes, avons perdu. Parce que le poids de la société pèse sur nous et nous conditionne et nous fait agir de telle ou telle manière. Les enfants sont libérés de cela. Ils voient avec le coeur. Ils font les choses spontanément. En tant qu'adulte, on a beaucoup de choses à apprendre ou à réapprendre sur la vie en observant les enfants. Je passe beaucoup de temps avec les enfants, je m'entends très bien avec eux. Je peux passer des heures et des heures avec eux. Le personnage de Warda est né spontanément. Elle n'est pas consciente de ce qu'elle fait, de l'impact qu'elle a sur Samia, du fait qu'elle arrive à la reconnecter avec son ventre, la maternité. C'est la magie de l'enfance. Il y a la métaphore avec la pâte, la pâtisserie. C'était évident, dans l'écriture, cette référence à la nourriture ? Oui ! C'est spontané aussi. Je suis une grande gourmande déjà ! (Rire). J'adore la Rzziza (crêpe marocaine). Ça me rappelle mon enfance à Tanger. J'ai fais le tour de la médina de Casablanca, il n'y a pas un vendeur de Rzizza. Je trouve cela triste. Et si l'on trouve, c'est fait à la machine, pas à la main. C'est une tradition culinaire qui se perd et je trouve cela très triste. C'est un art ! Cela nous définit culturellement. On est dans une société où tout se fait rapidement. La Rzizza se fait doucement, on doit prendre tout son temps. Je crois beaucoup en la transmission et le pouvoir de la transmission. Il y a des choses dans notre culture qui doivent être transmises. J'avais envie de ramener ces choses là qu'on est en train de perdre. J'avais envie de filmer la nourriture de façon charnelle, sensuelle, incarnée, en gros plans, parce que cette nourriture sert de lien entre ces deux femmes. C'est un vecteur de transmission entre les deux femmes. Vous filmez aussi de manière incarnée l'humain, vos personnages... J'aime l'intime. J'aime mes personnages. Si je ne les aimais pas, je ne pourrai pas les filmer. J'avais envie de raconter cet intime, effacer la barrière entre la caméra et les acteurs. De sentir qu'on était dans leur peau. De pénétrer leur âme à travers des petites choses. Des temps de respiration, des temps de transpiration. Ce sont des choses qui sont importantes pour moi. J'observe beaucoup. Je suis souvent en retrait. Avec mes comédiennes, je n'aime pas beaucoup répéter. J'aime parler des personnages, j'aime quand mes comédiennes comprennent parfaitement le personnage. À partir du moment où il y a communication avec le réalisateur, tout se fait tout seul. J'aime quand ça passe par le dialogue. Et j'aime la spontanéité. J'avais vu Loubna Azebal dans «Incendies», dans plusieurs films mais celui-là m'a marqué et elle a laissé une trace en moi. Elle avait quelque chose qui allait dans le sens d'Abla. Elle a une capacité d'interprétation énorme et une grande sensibilité aussi. Avec Nissrin Erradi, c'était le coup de foudre. Je me suis dit au début que je devais prendre une comédienne qui avait connu la maternité. Quand j'ai rencontré Nissrin, je me suis rendu compte à quel point j'avais tort. Elle m'a bluffé. Elle est rigoureuse, elle vit son personnage. Elle est extraordinaire. Pour la petite, je n'ai pas réussi à avoir de coup de coeur en casting. C'est en faisant des repérages en médina, que je suis tombée sur Warda ! C'était une évidence pour moi. C'est plus facile ou plus difficile de diriger un enfant ? Plus difficile. On ne le dirige pas comme un adulte. On doit trouver un autre moyen. Communiquer beaucoup. Et comme je suis moi-même une grande enfant, je pense que la communication passe mieux, elle est fl uide. Les choses sont plus naturelles, j'adore diriger les enfants !