«Chacun possède son génie propre et il n'est pas nécessaire d'emprunter le génie des autres», avance une Nezha Lahrichi ravie de voir que «les Africains se réapproprient le débat sur le développement de leur continent et entreprennent de définir leur propre vision de ce développement et les voies et les moyens pour y parvenir». Celle qui connaît les méandres du continent noir, à travers le truchement édifiant du risque, a l'intime conviction d'assister à une redistribution des cartes au niveau mondial. La présidente de la Société marocaine d'assurance à l'exportation (SMAEX) connaît très bien ce continent où elle accompagne de plus en plus d'entreprises marocaines promptes à lorgner ce marché prometteur. Si elle souligne la multiplication des échanges Sud-Sud par dix, là ou les échanges mondiaux n'ont été multipliés que par quatre, elle appelle toutefois à la lucidité devant les écueils qui peuvent joncher le développement du continent. Lever les obstacles Toujours est-il qu'elle constate : «le niveau des échanges intra-africains reste l'un des plus faibles au monde», ce qui l'amène à penser que le potentiel d'intégration régionale en Afrique reste largement inexploité. Pour corriger le tir, Lahrichi plaide pour la levée d'un certain nombre d'obstacles. «Il est évident que la priorité est au développement des infrastructures et à la facilitation des échanges, pour agir sur les coûts de transport et les délais de livraison», explique-t-elle, avant de relever que «l'appartenance de certains pays africains à plusieurs communautés économiques régionales rend les politiques commerciales régionales peu fluides». Elle pointe du doigt la problématique la plus importante, qui a trait à l'instabilité politique dans bon nombre de pays du continent. Enfin et surtout, elle s'avance sur un dossier qu'elle connaît par cœur, en s'attardant sur les défis de financement de l'intégration régionale parmi lesquels elle situe l'assurance crédit comme levier de croissance du commerce intra-régional. «L'assurance crédit repose sur la prévention et l'anticipation des probabilités de défaillance. Autrement dit, l'information est une variable stratégique», explique-t-elle dans ce sens, avant d'avancer : «Le premier défi est d'organiser les réseaux d'information sur les entreprises africaines». Aussi, elle pense que, dans ce sens, il faut impliquer la diplomatie économique, les banques et autres institutions dans la collecte d'information et la mise en relation des opérateurs. Cependant, il reste évident qu'en aval du processus se trouve le recouvrement des créances, dont l'efficacité dépend des systèmes judiciaires des pays où les actions de recouvrement sont à mener. Preneur de risque Or, sur ce point, beaucoup reste à faire, le continent n'étant pas connu pour la primauté de la loi sur ses terres. Toutefois, Nezha Lahrichi ne veut pas s'abandonner à un scepticisme inopportun et défend que «l'assureur crédit est le preneur de risque en dernier ressort et permet aux entreprises structurées d'accéder plus facilement au crédit bancaire». Elle va même plus loin, en expliquant que «l'assurance crédit permet aux entreprises informelles d'intégrer le circuit de financement formel». L'assurance crédit serait donc un moyen pour formaliser le secteur informel, dans la mesure où, si ses opérateurs veulent exporter ou importer, ils sont obligés de passer par une assurance crédit et donc par le circuit de financement formel. En outre, l'assurance crédit est destinée à la couverture du risque d'impayé lié au crédit inter-entreprises. Or, ce type de crédit est devenu un des premiers actifs au monde, notamment parce qu'il a constitué une soupape de sécurité pendant la crise financière, marquée par un resserrement des liquidités et donc des crédits des banques. Développer sa propre notation Aussi, la patronne de la SMAEX entend capitaliser sur cette nouvelle aura pour «organiser le binôme financement-garantie et mettre à profit la présence des banques marocaines dans plusieurs pays africains». Cela lui permettrait de s'affranchir de l'évaluation du risque faite par les assureurs crédit internationaux. «Cette notation reste tributaire de l'appréciation de l'assureur qui l'établit. Or, les définitions du risque politique peuvent être diverses», argue-t-elle avant de se définir un défi, celui de développer notre propre système de notation. «Celui-ci devrait reposer sur des analyses qui reflètent une autre perception du risque dans un pays donné. C'est dans ce cadre que le Conseil national du commerce extérieur (CNCE) s'est fixé comme objectif de préparer un guide risque pays, notamment, pour les pays africains», assure-t-elle. In fine, elle plaide pour la création d'un dispositif de garantie multilatéral pour établir des partenariats entre assureurs et mobiliser des capacités suffisantes en mesure de soutenir les opérations d'investissement sur le continent. Or, «L'Agence pour l'assurance du commerce en Afrique (ACA) est la seule organisation multilatérale qui couvre le risque politique et le risque de crédit commercial, favorise la mobilisation de ressources au profit du commerce et de l'investissement», conclut-elle, en plaidant pour le multilatéralisme africain. Lire aussi : L'interview de Nezha Lahraichi, présidente de la SMAEX «L'économique crée l'irréversible»