Depuis que la crise s'est révélée au grand jour en 2007-2008, tous les regards se sont tournés à nouveau vers l'Afrique. Comparée à la situation économique et financière actuelle des pays les plus développés, la voie de la croissance tracée ces dernières années par le continent a, il faut le dire, quelque chose d'insolent et d'inattendu à la fois. Selon un rapport d'Informa Telecoms & Media (organisme britannique), l'Afrique était par exemple, à fin 2011, «la deuxième région la plus connectée du Monde», comptant au total 616 millions d'abonnés à la téléphonie mobile. Qui l'aurait cru, il y encore 15 ans ? La capacité d'un nombre croissant de pays africains à rebondir aux chocs conjoncturels exogènes fait sensation aussi, bien que l'intégration incomplète de l'Afrique à la marche de l'économie mondiale soit, pour beaucoup, jugée encore «trop» faible. Mais à bien des égards, et en se fondant sur des réalisations tangibles, toutes les expertises, études ou simples observations montrent aujourd'hui que le retour des espérances tant refoulées devient, de jour en jour, une réalité palpable. L'Afrique a-t-elle entamée sa transformation? Pour certains observateurs avisés, «elle cristalliserait (même) l'avenir du monde». Les raisons d'une renaissance avérée... en chiffres Les rapports se suivent et accouchent, à chaque fois, du même constat : la croissance africaine est en ordre de marche régulier. Ce n'est pas tant la croissance que la régularité de celle-ci qui est surprenante. Elle en revêt même un caractère à la fois détonant et dénotant quand on la rapporte frontalement au contexte d'incertitudes et de vulnérabilité (intitulé du dernier rapport de conjoncture de la Banque mondiale) qui pèse actuellement sur le devenir des économies les plus avancées. Cette capacité de l'Afrique à afficher d'année en année des taux de croissance en amélioration constante n'est, cependant, pas à mettre en corrélation avec le développement endogène du continent, mais bien plutôt avec son «dynamisme commercial» très soutenu. Défendue par le dernier rapport de McKinsey Global Institute, cette thèse n'est pas nouvelle. Longtemps l'Afrique a été assimilée à une terre d'abondance, en termes exclusifs de ressources naturelles en général et de matières premières en particlulier. Entre 2000 et 2008 par exemple, la contribution de l'exploitation de cette «manne» à la hausse du PIB du continent est estimée à près de 24%, du fait notamment du renchérissement du prix des matières premières à l'international. Ce chiffre éloquent, mérite, selon les rapporteurs, d'être quelque peu nuancé, puisque d'autres secteurs d'activités, à fortes valeurs ajoutées commerciales essentiellement, participent davantage au soutien de la croissance sur le continent. Tel est le cas des services financiers qui affichent, sur la période 2002-2007, une progression annuelle de 24% ; ou précisément des ressources naturelles (7,1%), des BTP (7,5%), et des activités touristiques (8,7%). Le rapport note par ailleurs, et c'est peut-être là une réalité nouvelle, que ce dynamisme a pour origine principale «la stabilité politique et les réformes économiques, qui expliquent l'accélération de la croissance sur le continent noir». L'argument vérifié ici n'est, lui non plus, pas nouveau : la croissance se fait sur les fruits du développement, qui ne peut être renforcé, du moins rendu possible, que par une organisation du monde marchand en «institutions». De plus en plus présentes sur le sol africain, ces dernières sont en phase d'opérer un changement, voire une inversion des paradigmes. Inversion des paradigmes ou simple mise à mal des certitudes ? La dernière publication (décembre 2011) de la Banque africaine de développement conforte, favorablement cette nouvelle idée. «L'accent mis (par le monde extérieur) sur une prospérité progressive, plutôt que sur la pauvreté, représente un changement radical d'appréciation du futur économique de l'Afrique qui a de profondes conséquences politiques et pratiques», pouvons-nous y lire. Quelles sont alors ces conséquences ? Le succès étonnant par exemple de la téléphonie mobile sur le continent a fait prendre conscience «aux banques et aux entreprises de distribution», plus que son existence, le potentiel que représente «une classe moyenne croissante de consommateurs». Ces premiers signes d'amélioration du potentiel de la demande interne se vérifient largement en chiffres. «Comptant 111 millions de personnes en 1980», ce contingent de consommateurs potentiels est estimé, «dix ans après (...) à 196 millions, et en 2010 à plus d'un tiers de la population», précise le rapport de la BAD. McKinsey, en se projetant sur la décennie à venir, estime qu' «au moins quatre grands secteurs pourraient représenter ensemble un potentiel de chiffre d'affaires de 2.600 milliards de dollars en 2020», dont 1.380 milliards pour les seuls biens et services de consommation, «notamment les biens de grande consommation, les télécoms et la Banque». La BAD, plus concernée certainement, tire des perspectives sur un plus long terme. «La production totale et la production par habitant augmenteront constamment entre 2010 et 2060», souligne le rapport, en précisant que «d'ici 2060, la plupart des pays africains (...) deviendront des pays à revenu intermédiaire supérieur». Une production qui a vocation à être considérablement consolidée par «le gonflement de la classe moyenne, qui continuera d'augmenter, de 34 % de la population en 2010 à 42% en 2060». La reconnexion de l'Afrique pourra donc aussi se réaliser au travers même des frontières internes du continent. Suivant le même rapport, «99% de la population devraient avoir accès en 2060 aux réseaux à large bande». Pour profiter largement de ces nouvelles technologies, l'appréciation du capital humain africain ne sera pas délaissée, vu que le «taux d'alphabétisation devrait atteindre 96% en 2060». Dans le même sillage, les indicateurs de santé et de mortalité des populations africaines devraient évoluer favorablement. «Le mythe du cargo», qui résume à lui seul tous les maux passés et présents de l'Afrique, et qui a longtemps laissé entendre que l'Afrique et les Africains sont et seront toujours naturellement assujettis à l'aide et au soutien des puissances occidentales, se trouve finalement, à la lecture de ces chiffres, quelque peu mis à mal. La dynamique africaine est, incontestablement, lancée. Rien que pour l'année en cours, Economy Watch, une des plus grande communauté économique en ligne au monde, établit une liste des 12 économies qui connaîtront le taux de croissance le plus rapide, au sein de laquelle figurent pas moins de 7 pays africains, à leur tête le Niger, avec un taux de croissance projeté estimé à 15,4%.