Pour les deux économistes, la forte tarification du carbone, nécessaire pour limiter la hausse des températures à 2°C, est compatible avec la croissance économique. Six des sept membres du G7 ont réaffirmé haut et fort la semaine dernière leur volonté de poursuivre leurs démarches de lutte contre le changement climatique dans le cadre des engagements pris au titre de l'Accord de Paris mais si le septième membre, à savoir les Etats-Unis, qui pèse pour 14% des émissions mondiales, se retirait de cet accord, cela ouvrirait une brèche et compromettrait sérieusement le respect de l'objectif fixé, à savoir limiter à 2°C la hausse des températures. Il l'a dit et répété. Donald Trump, qui considère que la feuille de route établie par l'administration Obama en matière de plafonnement de leurs émissions (réduction des émissions de CO2 de 26 à 28% d'ici à 2025 par rapport à 2005) serait handicapante pour la croissance américaine, prendra sa décision sur l'Accord de Paris après son retour du G7. +2,8% de croissance d'ici à 2030 selon l'OCDE Une étude de l'OCDE publiée le 23 mai dernier dans le cadre de la présidence allemande du G20 démontrait pourtant que l'intégration des objectifs climatiques aux politiques économiques permettrait au pays du G20 d'améliorer leur croissance d'1% d'ici à 2012 et de 2,8% d'ici à 2030. Certes, à l'échelle du G20 (85% du PIB mondial et 80% des émissions), la transition énergétique exige des investissements de quelque 6.900 milliards de dollars par an d'ici à 2030, soit un surcoût de 10% en comparaison d'une politique traditionnelle (business as usual) ne tenant pas compte du climat, mais ce surcoût serait largement compensé par les économies annuelles de 1.700 milliards de dollars liées aux co-bénéfices de ces politiques (dépenses dans les énergies fossiles, la santé publique, etc.). Ce 29 mai, c'est un rapport de la Commission Stern/Stiglitz, publié à Berlin dans le cadre du Sommet Think20, qui revient sur l'une des principales pistes de mise en œuvre de l'Accord de Paris : la tarification du carbone. C'est lors de la COP 22 de Marrakech en novembre 2016 et à l'invitation des co-présidents de la Carbon Pricing Leadership Coalition (CPLC), Ségolène Royal et Feike Sijbesma, que les deux économistes et anciens dirigeants de la Banque mondiale, le Britannique Lord Nicholas Stern et l'Américain Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie 2001, ont accepté de présider une nouvelle commission sur les prix du carbone. Composée de 13 économistes et spécialistes de l'énergie et du changement climatique, elle ne comporte qu'un Français : Gaël Giraud, économiste en chef de l'Agence française de développement (AFD). Multiples co-bénéfices Leur conclusion est simple : respecter l'Accord de Paris implique de mettre en place un prix du carbone situé dans une fourchette de 40 à 80 dollars par tonne en 2020 pour atteindre 50 à 100 dollars en 2030. Une trajectoire forte et prévisible du prix du carbone constitue aux yeux de ces experts la seule façon d'adresser un message suffisamment puissant aux entreprises et aux particuliers pour les inciter à adopter les changements dans leurs schémas de production, d'investissement et de consommation en faveur d'un avenir bas-carbone. Revenant sur les co-bénéfices en termes d'innovation, de résilience, de villes plus agréables à vivre, d'amélioration de la qualité de l'air et de la santé, les auteurs affirment que la tarification du carbone permettrait également d'atteindre les objectifs de développement durable (ODD). Souplesse dans la mise en oeuvre Selon cette étude, les niveaux de prix, les instruments utilisés (taxe ou marché) et le calendrier seront adaptés au contexte de chaque pays. Dans les pays les moins avancés, il serait encore possible de respecter l'Accord de Paris avec des prix dans un premier temps plus bas que ceux préconisés par le rapport, à condition d'être complétés par d'autres mesures en faveur du climat et rattrapés par des prix d'autant plus élevés dans un deuxième temps, mais cela renchérirait le coût global de la transition. Globalement, les auteurs soulignent l'urgence d'agir, de telles mesures ne pouvant se mettre en place rapidement. Quel que soit l'instrument choisi, marché (cap and trade, comme le marché européen ETS) ou taxe, la tarification du carbone dégagerait des revenus que chaque pays pourrait ré-investir à sa guise pour favoriser la croissance verte de façon équitable : crédits d'impôts pour les ménages, baisse des taxes sur le travail ou l'investissement, transferts de liquidités en direction des populations les plus vulnérables, favoriser l'innovation verte, accompagner des entreprises dans leur transition ou encore investir dans des services de première nécessité tels que l'énergie, l'eau ou encore l'assainissement. Rex Tillerson, toujours favorable à une tarification du carbone ? Dans tous les cas, la tarification du carbone devra s'accompagner de politiques de soutien à l'efficacité énergétique, aux énergies renouvelables, à l'innovation et au développement technologique, à l'investissement de long terme dans les infrastructures ainsi que de mesures d'accompagnement de la population vers une croissance bas carbone. Le rapport réaffirme la nécessité d'élargir l'initiative d'entreprises d'appliquer un prix interne du carbone destiné à guider leurs décisions d'investissements et de se pencher en priorité sur le secteur de la production électrique. Rex Tillerson, lorsqu'il était encore PDG d'Exxon, était un fervent défenseur de la tarification du carbone. Aujourd'hui secrétaire d'Etat de l'administration Trump, saura-t-il convaincre le président des bénéfices de cette mesure et au-delà de la nécessité de demeurer dans l'Accord de Paris ?