Àmoins d'une dizaine de jours de la publication des résultats d'une étude portant sur les spécifications des besoins en compétences dans le secteur des énergies renouvelables, la perche est toute tendue pour se pencher sur un projet d'envergure nationale, qui a fait de l'intégration en amont de la filière éolienne, son principal leitmotiv. Sahara Wind est un méga-projet de production d'une centrale transfrontalière d'énergie électrique produite à partir d'éoliennes. Ses ambitions concrètes : «le déploiement en phases successives de plus de 5 GW de puissance éolienne installée tout au long des 2000 km de zones littorales marocaine et mauritanienne, afin d'approvisionner durablement les marchés euro-méditerranéens en électricité verte par le biais d'une ligne de Haute tension en courant continu (HTCC)». Cette gigantesque initiative - qui semble en rappeler une autre dans le domaine du solaire - est développée, à l'heure où nous parlons, par une société éponyme de droit marocain, sise à Rabat. «Il s'agit d'une structure commerciale de taille, adaptée à notre business plan, qui consiste à mettre en place le Projet Sahara Wind de manière graduelle à travers ses différentes composantes techniques», nous explique Khalid Benhamou, directeur général de Sahara Wind Inc. Pour le détail, ces composantes vont de la mise en place des parcs éoliens, de leur intégration en phases successives (technologies et phasage de lignes HVDC), aux mesures des vents, en partenariat avec les opérateurs télécoms du Maroc et de Mauritanie, ainsi qu'au déploiement de procédés industriels intégrés. «Il est important de préciser que l'ensemble de ces activités est mis en place dans le cadre de partenariats académie-industrie focalisant sur les synergies industrielles», complète le responsable. «Ces procédés sont essentiels afin d'assurer un transfert de technologies et la mise en place d'industries de fabrication d'éoliennes», poursuit-il. Il est par ailleurs intéressant de souligner, au passage, que ce méga-projet est soutenu par les mécanismes d'appui mis à disposition par l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN). C'est dans ce sens que des partenariats au sein des universités marocaines (Al Akhawayn, ENSAM, EMI...) et mauritanienne (Université de Nouakchott) on été mis en place. «L'idée est ici de forger des partenariats pouvant contribuer à la promotion de compétences locales, afin de permettre le développement d'une filière éolienne intégrée, pour accompagner les projets à l'image de Sahara Wind», commente Benhamou. Premiers brassages La première des phases du Projet est aujourd'hui en développement. En sus d'une collaboration régionale avec la Mauritanie, une première phase consiste à amorcer le projet à travers la mise en place d'une ferme éolienne pilote dans la région de Tarfaya. Cette unité peut aller d'un simple projet pilote présenté au Plan solaire de l'Union pour la Méditerranée, aux 400-500 MW (2012-2016) présentés aux institutions de financement internationales. En effet, la capacité d'amorçage du Projet Sahara Wind fait partie d'un partenariat public-privé présenté au fonds de l'environnement mondial (FEM) dès l'année 2005. Dans les parties prenantes au projet, on retrouve différents types de pourvoyeurs d'investissements, entre institutions internationales de financement (PNUD, PNUD-GEF, Banque mondiale, Banque africaine de développement, Fonds de l'environnement mondial) et structures publiques locales, telle l'Agence de développement des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique - ADEREE, et l'Office national de l'électricité. Le projet bénéficie bien sûr de l'appui institutionnel du ministère de l'Energie, des mines, de l'eau et de l'environnement (MEMEE). Ce dernier semble en effet avoir trouvé là un opus complémentaire à son propre programme éolien national, qui vise une puissance installée de 2 GW à l'horizon 2020. Quant aux autres phases de développement du Projet Sahara Wind, elles prévoient la construction additionnelle de 5 GW (500 MW x 2 tranches (phases), puis 1000 MW x 2 tranches (phases) sur un premier bi-pôle HTCC), avant de passer à la vitesse supérieure de 10 GW sur un deuxième bi-pôle HTCC pour la troisième phase (2020 et plus). Une fois à ce stade, le Projet Sahara Wind pourrait être étendu au-delà des rives nord du détroit. Retombées Bien qu'il revête une dimension stratégique, le Projet Sahara Wind, déployé de manière graduelle, se focalise sur un modèle économiquement viable et régionalement intégré. Sur cet aspect, le projet semble bien tenir sur ses jambes. De fait, le transfert de l'énergie éolienne à partir des plateaux sahariens de Tarfaya jusqu'en Allemagne par exemple, nécessiterait une longueur de ligne haute tension de 3.500km, dont 28km de câble sous-marin. Sans parler des économies d'échelle possibles dans sur un projet de cette envergure, le prix de revient de l'électricité produite au Sahara, vendue ainsi en Allemagne serait de moins de 4,4 € cent/kWh. Ce montant incluerait, selon les concepteurs du projet, «tous les coûts inhérents à la production et au transport de cette énergie». Les pertes de charges liées au transport calculées avec une ligne Haute Tension en Courant Continu de 5 GW de capacité, sont limitées et ne représentent en fait qu'un dixième du prix de l'électricité rendue à 4,4 € cent/kWh soit 0,4 € cent/kWh. «Avec les vitesses de vents mesurées sur place et l'utilisation des meilleurs sites, les coûts de production devraient être nettement améliorés», pense Benhamou. Point de vue Khalid Benhamou, Directeur général de Sahara Wind Inc. La production de ces parcs profitera, à terme, aux deux marchés (marché local d'abord et export ensuite). La question est fondamentale. Sans une bonne intégration de cette énergie dans le tissu industriel local, voire régional, il ne peut y avoir de développement de marché export sécurisé et cohérent. Le développement des énergies renouvelables a suivi une configuration différente des énergies fossiles. Elles ont été créées de manière décentralisée afin de diversifier l'approvisionnement des systèmes énergétiques centralisés actuels. Le combustible n'ayant pas de valeur intrinsèque (vent ou soleil) par rapport au pétrole ou au gaz naturel, ces énergies renouvelables consistent en fait à substituer des rentes par la mise en place d'industries manufacturières (de fabrications de composants etc.). Ceci représente des heures de travail dans les industries et contraste fortement avec les rentes énergétiques, qui ne peuvent apporter qu'un impact assez limité en matière de développement intégré. Dans le cadre de Sahara Wind, il s'agit d'une transition énergétique plus large qu'il est impératif d'amorcer. Il est à noter que ce contexte est stratégique car il a des ramifications globales. De celles-ci dépendent des enjeux sécuritaires considérables. Les conséquences néfastes des effets économiques, sociaux, voire climatiques sont indiscutables à échelle planétaire si nous ne parvenons pas à imposer un modèle plus cohérent pour développer les modèles énergétiques.