Tariq Sijilmassi : Président du Directoire du Crédit Agricole du Maroc Fin connaisseur des réalités du monde agricole au Maroc, mais aussi en Afrique, Tariq Sijilmassi, président du directoire du Crédit Agricole du Maroc (CAM) donne ses recettes pour l'émergence d'une agriculture africaine dynamique et soucieuse des intérêts des petits agriculteurs. Malgré l'engagement africain de son établissement, Tariq Sijilmassi révoque, pour le moment, toute idée d'ouvrir des filiales en Afrique subsaharienne. Les Inspirations ECO : Plusieurs banques marocaines sont présentes en Afrique. Vu votre expérience reconnue dans le domaine agricole, ne pensez-vous pas vous lancer sur le continent ? Tariq Sijilmassi : Le Crédit Agricole du Maroc s'est déjà exporté en Afrique à travers son expertise. Je ne pense pas qu'il y ait aujourd'hui un besoin pour nous d'aller acquérir d'autres banques sur le continent. Le Maroc dispose de trois grands groupes bancaires en Afrique. Le job est fait à ce niveau. Si le Crédit Agricole s'y exporte, c'est pour déployer son expertise dans le financement du milieu rural. Nous n'avons pas besoin d'être propriétaires de banques africaines. Notre domaine particulier exige une connaissance intime du terrain. Ce n'est pas à nous Marocains d'aller nous substituer à nos frères sénégalais ou ivoiriens pour leur apprendre ce qu'ils doivent faire. Notre action consiste à partager avec eux l'expérience marocaine en leur donnant les outils qui nous ont permis de réussir. Ces dernières années, vous avez signé plusieurs accords de partenariats en Afrique subsaharienne, comment se concrétisent-ils ? Nous sommes de plus en plus actifs en Afrique subsaharienne. Nous sommes surtout présents dans le domaine de l'échange d'expertise. Notre rôle, c'est justement de transposer l'expérience marocaine sur un certain nombre de sociétés et de banques agricoles africaines. Nous l'avons beaucoup fait sur l'Afrique de l'Ouest et cherchons à l'étendre à l'Afrique de l'Est. Nous développons des partenariats pour partager cette vision marocaine avec beaucoup de pragmatisme. Quelles sont les retombées de votre participation au Fonds fudiciaire lancé par le Maroc et la FAO ? Le Crédit Agricole a été le premier acteur privé marocain à faire partie de ce fonds. Nous sommes très heureux d'avoir été impliqués dans sa mise en œuvre. Quant aux résultats, nous comptons sur l'expertise et l'engagement de la FAO pour en voir les fruits. En quoi le Plan Maroc Vert converge-t-il avec l'initiative «Triple A» adoptée à Marrakech ? Le Plan Maroc Vert a compris une dimension essentielle de l'agriculture africaine. Il donne une place importante à l'agriculture solidaire, tout en essayant de promouvoir une agriculture moderne. C'est une approche novatrice extrêmement importante pour le Maroc, mais qui est aussi adaptée à la réalité africaine. Elle est donc exportable à ce titre. Jusqu'à récemment, la vision qui prévalait était assez technocratique et moins sociale. Elle se focalisait davantage sur l'amélioration de la productivité et du rendement, et moins sur le résultat social. Cette vision conduit à utiliser moins de main-d'œuvre et à détruire des écosystèmes et des systèmes sociologiques intégrés qui font partie de l'histoire des populations locales. Parfois, le mieux est ennemi du bien. Des investissements qui se chiffrent en milliards de dollars sont attendus dans l'agriculture africaine. Comment faire profiter ces fonds aux agriculteurs ? Lorsque l'on propose de consacrer 100 milliards de dollars à la lutte contre le changement climatique, c'est bien, mais comment ces milliards de dollars vont arriver au petit agriculteur dans un petit village perdu au fin fond du Sénégal, du Rwanda ou du Maroc ? C'est évident qu'il s'agit là du vrai enjeu. La volonté est là, mais il faut sortir du romantisme des grandes idées et faire en sorte que l'agriculteur profite de ces fonds annoncés. Notre démarche est la suivante : utiliser la technologie au service des agriculteurs. Il est certes très important d'avoir un réseau d'agences bancaires important, mais c'est aussi nécessaire d'avoir des agents mobiles. Au Maroc, le Crédit Agricole dispose d'agents qui sillonnent les souks. Il est important de mettre à la disposition des agriculteurs des mobiles banking, des bornes interactives dans les villages, etc. En un mot, nous devons nous servir de la technologie pour réduire les distances. L'adaptation de l'offre de financement destinée aux agriculteurs ne devrait-elle pas suivre à son tour ? Nous devons adapter les financements et les offres aux réalités des cultures locales. Cela dit, le canal de distribution doit aussi être adapté. Certes les banques doivent respecter les règles de Bâle II et Bâle III, mais on doit comprendre que le petit agriculteur n'est pas toujours adapté à ces réglementations. Le Crédit Agricole a développé des organes de financements spécialisés qui contournent ses problématiques prudentielles et qui nous permettent de donner des crédits sans forcément exiger des garanties hypothécaires. Ces offres, que nous appelons les «mezzocrédits» sont au dessus du microcrédit et sont basées sur une complémentarité avec les programmes gouvernementaux et les activités de l'agriculteur. Dans le Plan Maroc Vert, on privilégie l'agrégation, qui selon moi, vaut mieux qu'une hypothèque. La vocation du banquier n'est pas d'aller récupérer de l'hypothèque sur un terrain de trois à quatre hectares dans la brousse !