L'Office national interprofessionnel des céréales et des légumineuses (ONICL) monte au sommet de ses silos. Un sursaut de transparence, quelque peu provoqué : la structure publique est en bras de fer avec un groupe de gros importateurs de céréales, en l'occurrence du blé tendre. Il se trouve, de fait, qu'il subirait depuis quelques jours «une importante pression» de la part de certains grands importateurs de la place – par divers canaux – dont le but est de le pousser à ouvrir davantage les frontières du royaume au blé tendre importé. Ces derniers parlent de «rupture de stocks» imminente, et donc de la nécessité d'ouvrir grandement les frontières au blé tendre étranger. Pourtant, le stock national affiche une très bonne mine, «la meilleure en tout cas depuis août 2009, et ne justifie aucun recours aux importations massives dans la conjoncture actuelle», nous explique Aziz Abdelali, directeur général de l'ONICL. En chiffres, les dernières actualisations de l'ONICL parlent d'un volume de stock en blé tendre dépassant la barre des 17,5 millions de quintaux (Mqx), au 1er jour du mois en cours. De quoi satisfaire largement, pendant plus de quatre mois plus précisément, l'écrasement des minoteries industrielles, soit une augmentation de 20% par rapport au cumul de l'année dernière. Cette performance serait due, selon le responsable, à la bonne récolte (88 Mqx en blés et orge pour 2010-2011, en hausse annuelle de 10%, ndlr), ainsi qu'aux mesures prises par le gouvernement pour relever le niveau du stock national. Autant d'arguments, en tout cas suffisamment convaincants pour amener les responsables de l'Office à la conclusion «qu'il ne s'agirait, ni plus ni moins, que de manœuvres lobbyistes», destinées à faire profiter à leurs initiateurs des avantages commerciaux qui existent actuellement sur le marché étranger, suite à la reprise en stabilité des cours internationaux. À qui profite tout cela... ? Ces derniers iraient même parfois jusqu'à prédire une prochaine flambée des prix sur le marché international, pour expliquer le besoin de s'approvisionner au maximum en blé tendre importé, afin de se constituer du stock et se prémunir de toute «mauvaise surprise». Il est tout de même vrai que, vu les effets des dernières bulles spéculatives sur les céréales, le risque ne serait pas à écarter. Il s'agit là d'un «faux prétexte», selon Aziz Abdelali, qui ajoute que, par ailleurs, «les prix payés aux producteurs ont connu ces dernières semaines un raffermissement, comparés à ceux enregistrés en début de campagne». Ce raffermissement serait en effet dû à l'intensification des achats des minoteries industrielles, qui commencent à rationaliser leurs stocks de blé importé en procédant notamment au coupage avec du blé local dans leur process industriel. À titre indicatif, au passage, le coupage est un procédé de mixage entre deux qualités différentes de blé opéré par les industriels céréaliers, pour obtenir une farine plus rentable. Si l'aspect commercial ne semble pas vraiment convaincre, le fond de la problématique opposant l'ONICL aux lobbys importateurs serait-elle peut-être à chercher sur la qualité de la récolte nationale ? En effet, la plupart des importateurs ont souvent tendance à soulever le défaut de qualité du blé tendre local, pour justifier leur orientation vers les marchés étrangers. Du côté de l'Office, cet autre argument ne tiendrait pas. Abdelali reconnaît en effet «quelques problèmes de qualité sur les dernières récoltes en blé tendre», mais «facilement contournables grâce aux procédés de coupage avec du blé importé». En outre, il est connu que ce procédé est bien plus avantageux, commercialement parlant. En fin de saison, l'Office estime que la collecte de blé tendre sur la base des dernières récoltes devrait totaliser quelques 24 Mqx. Il n'y a donc pas de risque que la farine vienne à manquer... Point de vue: Aziz Abdelali, DG de l'ONICL Le gouvernement continue de suivre de près la situation de la collecte et des stocks du pays en blé tendre. Le recours aux importations ne pourra intervenir qu'après écoulement de la plus grande partie de la récolte nationale. Cela est d'ailleurs bien logique : il est hors de question d'importer le moindre quintal tant que la récolte locale est encore capable de satisfaire les besoins de nos industriels. Je pense que les deux ou trois grands importateurs qui sont derrière ces pressions ne se rendent même pas compte de la portée de leurs actions dans ce contexte pré-électoral. Quoi qu'il en soit, le Maroc se doit de respecter ses engagements dans le cadre des Accords de libre-échange signés avec les Etats-Unis et l'Union européenne, et lancera, comme cela se fait chaque année, des appels d'offres pour l'exécution des contingents tarifaires prévus. Le but est d'assurer un approvisionnement normal du marché sans pour autant perturber la collecte et l'écoulement de la production nationale. Pour les appels d'offres en cours de finalisation, ils portent sur des volumes respectifs de 346.000 et 200.000 tonnes en provenance des Etats-Unis et d'Europe.