Le marché de l'art marocain est en pleine effervescence et il serait estimé à 400 MDH par an, ce qui le place en tête des pays africains et moyen-orientaux. Les galeries d'art florissent, les vernissages sont les rendez-vous «in», les prix des tableaux atteignent des montants exorbitants mais qu'en est-il de l'art contemporain, de la photographie et de la vidéo ? Ont-ils leur place sur ce marché ? Depuis plus de six ans maintenant, le Maroc assiste à un «galerie Boom», nouveau phénomène qui consiste à voir se multiplier les galeries d'art, mettant en avant la peinture sous toutes ses formes. En effet, cette dernière a su séduire les banques et gagner l'intérêt des instances financières. Le succès est immédiat, les aides se font ressentir. «Les banques ont beaucoup participé à l'essor du marché de l'art et nous avons assisté ces dernières années à la naissance de plusieurs galeries, surtout à Rabat, Casablanca et Marrakech», témoigne ce commissaire d'exposition d'une grande galerie de Casablanca. «Casablanca comptait moins de 5 galeries, il y a encore 6 ans. Aujourd'hui, il y en a plus de 30 !», nous explique cette experte. Tel un effet de mode, le mot «peinture» est sur toutes les bouches, les ambiances feutrées. Avant d'investir des milliers de dirhams sur le tableau que le voisin convoite, les classes «plus» deviennent de véritables investisseurs en art, mais qu'en est-il de l'art émergent, qui se développe en Europe et aux Etats-Unis, lequel n'est pas encore considéré comme un «art» à part entière au Maroc: l'art contemporain ? Pourtant, le monde de la photo se développe, à l'ère du numérique où la vidéo est devenue un passage obligé. «Il y a deux marchés parallèles. D'un côté, le monde de la peinture qui a pris beaucoup d'ampleur, pas forcément justifiée. De l'autre côté, celui de l'art contemporain qui engobe la photographie, la vidéo, les nouvelles formes d'expressions, encore peu reconnues au Maroc, alors qu'à l'international, ce type d'art est très prisé», explique Nawal Slaoui, fondatrice de «Cultures interface» pour la promotion de l'art contemporain au Maroc, qu'elle considère comme étant naissant et pas encore stable. «Il est vrai qu'il y a eu des pics ces dernières années, mais le marché n'est pas vraiment stable. Aujourd'hui, les collectionneurs se posent toujours des questions sur le prix, mais nous avons encore besoin d'aides et de plus de visibilité à l'international», continue Nawal Slaoui. «Cultures interface a pour vocation la production et la diffusion de la création contemporaine du Maghreb. Nous avons pris le parti d'être une galerie itinérante à travers l'Afrique, l'Europe et l'Amérique. Ce choix nous permet d'avoir une multiplicité de propositions adaptées à des types de lieux et d'œuvres divers», explique Slaoui. C'est ainsi que la fondatrice de «Cultures interface» nous explique que «nous réalisons la promotion d'artistes à l'international à travers des expositions clés en main, du commissariat d'exposition, du conseil en gestion de collection et aussi par la production d'œuvres de commande pour l'espace public et privé». Tout un programme qui vise à promouvoir cet art à travers de jeunes talents en leur permettant plus de visibilité à l'international. Un atout que Leila Ghandi, une photographe, qui a su se faire un nom ces dernières années, a bien intégré. «Ma première exposition photographique remonte à 2005. À ce moment là, il y avait peu de photographes, très peu de collectionneurs intéressés par la photographie et encore moins de galeries ouvertes à cette discipline artistique. Aujourd'hui, il y a beaucoup plus de galeries d'art, des festivals dont certains dédiés exclusivement à la photographie, les marchands d'art commencent à s'intéresser, mieux à valoriser la photographie. Les choses avancent, petit à petit. En revanche, il faut souvent attendre qu'un artiste fasse ses preuves et soit reconnu à l'étranger pour qu'il commence à susciter de l'intérêt au Maroc, c'est dommage», raconte l'artiste, qui a eu du mal à se faire une place, vu la faiblesse de la demande et la démocratisation, voire la vulgarisation de la photographie, laquelle a donné naissance à des «pseudo-photographes». «Celui qui débute doit redoubler d'efforts, de patience, de persévérance et surtout de talent. Certains dénoncent ou du moins regrettent que tout le monde veuille devenir, ou du moins se prétendre photographe. Je comprends ce point de vue, mais je trouve au contraire cela stimulant, c'est l'indicateur d'une société en mouvement, attirée par de nouvelles choses et avant tout par l'envie de s'exprimer. L'écrémage se fait tout seul. Un photographe professionnel a un public et des acheteurs, sinon la photographie est un hobby, ce qui est très bien aussi». Un hobby qui grâce au phénomène des réseaux sociaux permet à n'importe qui de devenir ou de se prétendre photographe, créateur de vidéos ou spécialiste des nouvelles tendances technologiques. «Les artistes aujourd'hui arrivent à se débrouiller seuls parce qu'ils n'ont pas le choix. Ils ne se font pas aider au Maroc et s'il ne s'agit pas d'un coup de pouce de l'étranger, à l'image de l'initiative de la Belgique vis-à-vis de Daba Maroc, les artistes sont livrés à eux-mêmes», intervient Slaoui, venant jouer l'intermédiaire entre la création et le public dans un monde où il est difficile de vivre de son art. En effet, le marché est cruel, il faut se différencier et être son propre producteur, manager, commercial pour survivre. «Il n'y a pas de règles. Le prix réel d'une photographie, c'est le prix qu'un acheteur est disposé à payer pour en faire l'acquisition. Il ne s'agit pas non plus de vendre une seule fois une photographie et d'estimer qu'il s'agit de notre prix de vente», confie Leila Ghandi, qui sillonne le monde pour capter les visages et les expressions. Véritable globe-trotteur de la photographie et de la vidéo, l'artiste émergent de l'art contemporain vend ses photographies à près de 20.000 DH la pièce. «Au Maroc, l'art n'est pas encore vraiment valorisé, les droits d'auteur ne sont pas encore respectés, le marché n'est pas encore mûr et les mentalités ne sont pas encore au rendez-vous. Les magazines préfèreront télécharger une photo gratuitement sur internet ou demander au journaliste de prendre lui-même une photo, et quand ils proposent des tarifs, ce sont encore souvent des sommes symboliques. En revanche, les magazines (et les agences de pub) font régulièrement appel à des photographes (et des réalisateurs) étrangers qu'ils payent rubis sur ongle», relève Ghandi. Pourtant, nuance-t-elle, «il y a beaucoup de talents marocains. Les galeries d'art, quant à elles, préfèreront encore exposer de la peinture, une valeur plus sûre, un investissement moins risqué. L'un dans l'autre, si la photographie peut assez facilement être un à-côté, elle peut difficilement être une source de revenus à part entière, stable et suffisante». Une idée pour ces investisseurs qui ne croyaient pas non plus à la peinture, il y a quelques années, mais qui ont finalement réussi leur ruée vers...l'art !