L'Afrique prend conscience de l'impératif de «s'industrialiser» pour soutenir sa croissance et mieux tirer profit de ses ressources. Du 21 au 26 mars dernier, Abidjan a réuni les ministres des Finances du continent pour plancher sur «une industrialisation axée sur les produits de base agricoles, industriels et miniers». Le dernier rapport de la Commission économique répond à la question du «comment». Analyse. L'économie du continent serait-elle enfin en train de corriger le cours de sa propre histoire? Jusque-là tirée principalement par les commodités liées au commerce des matières premières minières et agricoles et, depuis quelques décennies déjà, par celui des services, les économies africaines sont en train de repenser leur modèle de croissance, afin de le rendre le plus soutenable possible dans le temps. Cela devrait passer par l'industrialisation. L'objectif est de ne plus seulement servir de «vache à lait» en ressources naturelles et humaines, fournies au développement d'autres zones économiques aujourd'hui avancées, mais de se donner les moyens industriels - technologiques et techniques - nécessaires à la transformation et à la création de valeur ajoutée sur le continent même, à partir de ces mêmes ressources. La volonté politique de se réapproprier les facteurs de croissance du continent, semble d'ores et déjà là. Le sujet a en effet été au centre de la dernière réunion annuelle conjointe de la Conférence des ministres africains des finances, de la planification et du développement économique de la Commission économique pour l'Afrique (CEA), ainsi que de la Conférence des ministres de l'économie et des finances de l'Union Africaine (UA) à Abidjan, les 25 et 26 mars 2013. Cette rencontre des politiques a été précédée, du 21 au 23 dans la capitale ivoirienne, par celle des d'experts techniques. Au total, c'est toute une semaine de réflexions qui se sont tenues pour trouver les voies et moyens de mieux insérer l'Afrique dans le jeu industriel mondial, et pour revoir tout le modèle de croissance du continent. Les protagonistes en sont en effet sortis convaincus qu'une «industrialisation accélérée est l'un des moyens les plus sûrs de garantir la durabilité de la récente croissance économique du continent». Prise de conscience Les ministres des économies membres de l'UA se sont engagés sur la nécessité de «poursuivre une industrialisation axée sur les produits de base, pour répondre aux aspirations de transformation structurelle du continent». Dans leur déclaration finale, il est effectivement question d'«impératif». Le terme est fort et traduit une forte prise de conscience politique. Le fait est que les besoins de l'heure forcent à cette prise de conscience. Les pays du continent partagent les mêmes problématiques- chômage qui s'enlise, faiblesse des revenus des populations actives, forte dépendance des marchés extérieurs sur les produits de consommation, forte croissance démographique, insuffisances alimentaires, etc. - qui font de l'industrialisation un passage obligé et une solution transversale de leur résorption. La rencontre ministérielle a ainsi souligné «la nécessité impérieuse d'industrialiser le continent pour créer des emplois, actuellement en nombre très insuffisant, et générer les connaissances et les compétences nécessaires afin de pouvoir gérer l'urbanisation rapide et tirer parti de la rente démographique potentielle», peut-on-lire dans un communiqué de la CEA. La même source précise que les ministres se sont également engagés à s'attaquer à des problématiques parallèles, mais tout aussi liées au développement industriel du continent. L'idée est en fait de développer les infrastructures et l'approvisionnement en énergie, «deux conditions essentielles au succès d'un programme d'industrialisation». Problématiques... Ces travaux ont été accompagnés par la publication, dans la même semaine, de l'édition 2013 du rapport économique sur l'Afrique produite conjointement par la CEA et l'UA. Ce document matérialise les grandes lignes de cette nouvelle stratégie à insuffler aux économiques africaines, fondée principalement sur une industrialisation axée sur les produits de base, en disant d'elle qu'elle est un impératif à la fois réalisable et profitable. Il revient, aussi et surtout, sur la faiblesse des acquis. «L'industrialisation de l'Afrique a été faible et incohérente. Durant la période 1980-2009, la part de la valeur ajoutée manufacturière dans le PIB avais légèrement augmenté en Afrique du Nord, de 12,6 % à 13,6 %, mais avait chuté de 16,6 % à 12,7 % dans le reste du continent», note-t-on dans le travail commun des experts de la CEA et de l'UA. L'autre constat est que «le continent est resté en marge de l'industrialisation mondiale. Les liens commerciaux de l'Afrique avec le monde ne lui ont pas permis de promouvoir la transformation structurelle de son économie pour assurer son développement industriel». Ces liens reposent principalement sur les exportations des produits de base industriels et agricoles. Ainsi, au moment où les économies développées s'approvisionnaient en ressources de toutes sortes pour développer leur croissance, le continent s'est facilement pris au jeu et est resté, pendant plusieurs décennies voire plus, cantonné au rôle très limité de «fournisseur», sans aucune option stratégique de transformation et d'industrialisation domestique. Pour justifier ce retard, le rapport pointe l'histoire du doigt. «Des faits probants montrent que les causes fondamentales des faibles niveaux d'industrialisation de l'Afrique et de la dépendance à l'égard des exportations de produits de base, s'expliquent non seulement par le mode de production colonial, axé sur les activités extractives, mais également - et c'est la raison la plus importante - par les politiques industrielles menées à partir des années 50, jusqu'aux années 90». Le constat est resté déconcertant : 90% du revenu total tiré du café, dont le continent abrite pourtant les premiers producteurs mondiaux, va aux pays consommateurs riches - «ce qui souligne les avantages dont les pays africains se privent actuellement». ...et solutions Les économistes africains ne se limitent pas -heureusement - à montrer uniquement «ce qui ne marche pas». Le mal localisé, ils se proposent d'aller au-delà, et tracent quelques pistent d'actions pour rectifier le tir. Pour ces derniers, le continent doit saisir l'opportunité et réapprendre à tirer profit de ses ressources naturelles et de la flambée des cours des produits de base. «Plutôt que de compter sur les exportations de matières premières, le continent devrait ajouter de la valeur à ses produits de base, afin de promouvoir une croissance soutenue, la création d'emplois et la transformation économique», note-t-on dans le même rapport. Les pistes proposées sont au nombre d'une dizaine, dont quelques morceaux choisis portent sur l'élaboration de politiques économiques axées sur la teneur en produits locaux, l'adoption et la mise en œuvre de politiques industrielles cohérentes, ainsi que la mise en place de mesures stratégiques pour l'insertion des entreprises locales dans les chaînes de valeur. Les autres pistes d'action proposées par les auteurs du rapport portent également sur la création de «mécanismes institutionnels inclusifs et transparents appropriés», stimuler les compétences et les techniques locales, négocier des accords commerciaux régionaux et promouvoir le commerce inter-african. Il s'agira également pour les économies africaines, de «s'attaquer aux problèmes d'infrastructure et aux goulets d'étranglement», ainsi que d'instaurer une coordination entre ministères et tirer le meilleur parti des d'orientation régionales. Les auteurs de ce travail sont donc d'autant plus convaincus que la base de ressources de l'Afrique offre beaucoup d'opportunités, favorisées par l'influence grandissante de l'Afrique dans les négociations avec des investisseurs étrangers. Climat des affaires Pour s'industrialiser, il faudrait toutefois savoir attirer et promouvoir les investissements, aussi bien locaux qu'internationaux. Sur cet aspect, il est certain que le continent a encore beaucoup de défis à relever, dont celui de l'aspect transversal de l'amélioration de l'environnement des affaires. Même si des efforts sont déployés par ci par là, de façon isolée et non intégrée, des nuages d'obstacles continuent de s'accumuler sur le climat africain des affaires. Le document de référence le plus significatif pour étayer ce constat est le dernier Doing Buiness. Le score global obtenu par le continent dans ce classement annuel, qui dresse le tableau des pays où il fait le mieux investir, est très mitigé. Les Iles Maurice et l'Afrique du Sud ont été les seuls pays du continent à avoir réussi à se hisser dans le top 50 des économies les plus réformatrices du monde. Ces pays sont, respectivement, 1er et 2e dans le classement continental, suivi de très loin par le Rwanda, 52e mondial. Au Maghreb, le Maroc est le pays le mieux placé, finissant à la 97e place du classement mondial. Même s'il est certain que le continent peut encore beaucoup mieux faire, bon nombre d'observateurs s'accordent sur le fait qu'un vent réformiste entraîne de plus en plus d'économies dans le bon sens...des affaires.