«Institutionnaliser l'industrialisation» du continent, c'est en substance l'injonction que vient d'adresser la Commission économique pour l'Afrique (CEA) aux économies africaines dans la dernière livraison de son rapport annuel sur l'économie de l'Afrique. Le continent a pourtant beaucoup à gagner dans la transformation des produits de base. Dans son dernier rapport sur l'économie du continent, l'organisme panafricain reste convaincu que la transformation structurelle des économies africaines ne pourrait aboutir sans la mise en place de réelles politiques industrielles. «L'industrialisation n'a apporté qu'une maigre contribution à la croissance africaine», constate-t-on d'entrée dans le rapport de la CEA. Les auteurs partent du constat selon lequel le continent a certes enregistré une croissance moyenne de 5% durant la dernière décennie, certains pays réalisant même plus de 7%», mais cette dynamique reste principalement dépendante des prix relativement élevés des produits de base non transformés, une situation que la CEA juge risquée. Le constat sur la situation du secteur industriel en Afrique est déconcertant. Les experts de la CEA pensent en effet que l'industrie est encore à l'état embryonnaire, ce qui limite les gains potentiels sur le plan de l'emploi qu'offre la transformation des produits primaires. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. La part de l'Afrique dans la valeur ajoutée manufacturière (VAM) mondiale est inférieure à celle d'autres régions en développement, selon la CEA. «En 1980, la part de l'Afrique était de 1,9% et elle a chuté à 1,4% en 2000 - et même après une décennie de forte croissance, elle n'a que faiblement augmenté, se situant à 1,5% en 2011», expliquent les auteurs du rapport. Cette situation est en contraste avec celle de l'Asie, par exemple, qui a vu sa part de la valeur ajoutée manufacturière mondiale presque doubler, passant de 5,8% en 1980 à 11% en 2000 pour bondir à 34,9% en 2011. Tout n'est cependant pas perdu d'avance. Le rapport montre que le continent a tout de même fait quelques progrès s'agissant de développer son secteur manufacturier fondé sur la technologie - notamment les produits chimiques - pour au moins maintenir sa part globale de la valeur manufacturière mondiale dans le segment moyen/supérieur. Atouts Le continent a pourtant de très bonnes cartes en sa possession: les matières premières. L'Afrique gagnerait en effet énormément à miser davantage dans la transformation de ses produits de base, au lieu de se contenter du rôle d'exportateur. «Le potentiel de l'Afrique en matière d'industrialisation réside essentiellement dans l'exploitation de ses produits de base par la création de valeur ajoutée», explique-t-on dans le rapport de la CEA. Les exportations de ressources naturelles constituent l'un des principaux atouts du continent. Dix de ces principaux produits de base concentrent plus de 68% du total de ses exportations en 2012, le pétrole représentant à lui seul 41,6%. En face, les pourcentages correspondants pour les dix principales exportations de produits manufacturés sont beaucoup plus modestes. Ils sont de 4,5% pour les produits de moyenne technologie, de 2,5% pour ceux de faible technologie et de seulement 1,2% pour les exportations de haute technologie. «Les exportations de produits de base peuvent entraîner une forte croissance économique mais du fait qu'elle n'est pas durable, il faut assurer la transformation structurelle par une augmentation de la valeur ajoutée, parallèlement à l'accroissement de la productivité agricole et à la création de nouveaux emplois non agricoles dans l'industrie et les services», peut-on lire dans le même rapport. Facteurs Selon la CEA, les difficultés d'industrialisation du continent sont notamment liées à la faiblesse des structures institutionnelles, ainsi qu'à une mauvaise conception des politiques dédiées au développement du secteur. Les auteurs du rapport précisent en effet qu'en examinant la question de l'industrialisation en Afrique, on observe que la méthode utilisée a consisté jusque-là à déterminer les principales contraintes et à définir des interventions politiques générales pour les surmonter. Ces solutions n'ont cependant que rarement porté sur les institutions régissant la politique industrielle ou sur l'impact que les faiblesses de ces institutions ont sur leur capacité à opérer dans un cadre dynamique coordonné.