Décidément, le mois de ramadan est le meilleur moment pour faire entendre sa voix! Après les distributeurs de gaz qui menacent de perturber l'approvisionnement, c'est au tour des gérants des stations-services de monter au créneau. Leur syndicat, la Fédération nationale des commerçants et des propriétaires des stations-services, vient en effet de brandir la menace d'une grève les 17 et 18 juillet. Dans un communiqué rendu public à l'issue d'une Assemblée générale extraordinaire, tenue la semaine dernière, les gérants des stations-service ont en effet décidé de passer à l'offensive, dénonçant les «problèmes jugés graves qui menacent réellement l'avenir même de la profession». Dans leur ligne de mire, le Groupement des pétroliers du Maroc (GPM). Les pompistes accusent en effet les sociétés d'hydrocarbures de «vouloir mettre la main sur ces stations-services en vue de bénéficier des terrains sur lesquels elles se trouvent. Ils dénoncent également leur volonté de chasser les gérants et de les priver de leurs droits», indique le communiqué. Les relations houleuses entre les deux parties sont un secret de polichinelle, mais là, c'est la goutte qui fait déborder le vase. Les gérants de stations-services contestent en effet une décision de justice, rendue en faveur des pétroliers, qui prive les ayants droit de leur succéder. Cette action a mis le feu aux poudres. La fédération n'y est pas allée de main morte avec les pétroliers, qui s'estiment «victimes d'une politique d'oppression de la part des sociétés d'hydrocarbures qui sont parvenues à induire en erreur la justice». La question est primordiale pour les gérants des stations-services, qui sont prêts à utiliser tous les moyens pour changer la donne. De père en fils ! «C'est une revendication qui relève du non-sens. Ce n'est pas une activité que l'on peut transmettre de père en fils. On parle d'une activité qui nécessite une grande technicité et qui met en jeu des investissements colossaux. La logique voudrait que la concession de la gestion des stations soit soumise à un cahier des charges précis», estime un membre du GPM. Les gérants, eux, ne l'entendent pas de cette oreille. Leur argument? La convention, signée entre les deux parties en 1996, stipule, selon la Fédération, que «les héritiers reprennent automatiquement le commerce des ascendants sans aucune formalité ou renouvellement des contrats». Cette clause n'aurait pas été respectée par le groupement des pétroliers, qui a intenté plusieurs actions en justice pour l'évacuation des ayants droit ayant refusé de renouveler les contrats avec les sociétés de distribution «à des prix exorbitants». Ces procès se sont soldés par une surprise fâcheuse pour les sociétés pétrolières. Les héritiers avaient en effet obtenu gain de cause en première instance et en appel. Néanmoins la donne va changer. La Cour suprême a remis les pendules à l'heure en annulant les jugements précédents en faveur des pétroliers. Ce retournement de situation a fait sortir les gérants de stations-services de leurs gonds. Qu'est-ce qui explique cette volte-face? «Les gérants se sont basés sur un PV signé par les sociétés pétrolières et le ministre de tutelle, mais le document relevait plus de déclarations d'intention inscrites dans un processus de négociation que de des décisions arrêtées. D'ailleurs, la Cour suprême a remis les choses en ordre», explique un membre du GPM. Cette version, les gérants des stations-services la balaient d'un revers de main : «la durée de l'accord qui nous lie au GPM n'est pas limité dans le temps. Tout changement de ses termes doit intervenir par un commun accord des deux parties», indique un membre de la fédération. Soit. La Cour suprême a rendu son verdict. La menace de grève serait-elle une manœuvre pour négocier d'autres avantages ? Les raisons de la colère En tout cas, du côté du GPM, on croit : «les revendications des gérants des stations de service, légitimes à certains égards, datent de plusieurs années. En dépit des promesses des ministres qui se sont succédés à la tête du département de l'Energie et des mines, tous les accords de principe sont restés lettre morte», indique un membre du GPM. Du coup, le dossier revendicatif de la profession ne manque pas de volume. Sur le plan de la fiscalité, les gérants exigent ainsi plus d'équité. Pour eux, un benchmark avec une autre profession est édifiant à cet égard : «à titre d'exemple, la taxe minimale chez les pharmaciens est de l'ordre de 0,5%, alors que leur marge bénéficiaire est de 20%. Pour les stations-services, la même taxe est à 0,25% contre une marge de bénéfice de 3%. C'est une aberration», explique un membre de la Fédération. Pis encore, les marges de bénéfices des gérants n'arrêtent pas de s'éroder d'année en années tandis que leurs charges montent en flèche. «Les charges de gestion d'une station de services augment de 3 à 5% chaque année alors que, en dehors d'une petite correction décidée en 2000, les marges n'ont pas bougé d'un iota», poursuit notre source. Cette situation commence à lourdement peser sur les bénéfices des gérants des stations-services. La menace de grève est donc l'ultimatum adressé aux pouvoirs publics pour rectifier le tir. «Depuis le temps, on commence à avoir l'habitude de ce genre d'actions, en particulier durant le mois de ramadan, qui visent à attitrer l'attention et faire pression sur le gouvernement. Seulement, cela tourne à l'abus et crée une tension dont on peut se passer», estime ce membre du GPM. Force de frappe redoutable Sur les quelques 2.040 stations de services que compte le pays, les gérants qui brandissent aujourd'hui la menace de la grève contrôlent près de 1.500 d'entre elles, le reste étant directement géré directement par les compagnies de distribution. C'est dire la force de frappe dont disposent ces professionnels. Cette force de frappe peut faire beaucoup de remous dans l'approvisionnement en carburant. Du côté du Groupement des pétroliers du Maroc, on garde le sang froid : «même si la fédération décide de mettre à exécution ses menaces, cela ne va pas beaucoup perturber l'alimentation du marché en carburant. Nous avons plusieurs stations, notamment sur l'axe Casa-Rabat, qui peuvent absorber le choc», assure Adil Zyadi, président du GPM. Quid alors du chiffre d'affaires ? Une grève de deux jours peut causer beaucoup de dégâts pour les compagnies de distribution. «Certes, une cessation de l'activité se traduit par un manque à gagner en termes de chiffre d'affaires, mais cela ne représente pas une grande perte», estime Adil Zyadi.