«L'égalité hommes-femmes». Ce titre en vogue dans plusieurs stratégies, congrès, et tables rondes, s'est à nouveau retrouvé en haut de l'affiche vendredi dernier à Casablanca. Organisée par le ministère du Développement social, de la famille et de la solidarité, la journée a réuni des chefs d'entreprises, représentants du gouvernement, et membres de la société civile. Les débats ont porté sur une interrogation centrale : comment cette égalité peut-elle devenir un levier du développement économique au Maroc ? Un état des lieux s'impose. Selon les données fournies par le Haut commissariat au plan (HCP), le volume de la population active occupée (PAO) a atteint 10,38 millions de personnes en 2008, avec un taux d'emploi national de 45,8% (68,7% chez les hommes et 24% chez les femmes). Les 24%, aussi dérisoires soient-il, ne reflètent pas vraiment la réalité, les femmes étant majoritaires dans le secteur informel. Les femmes voient petit! Aujourd'hui, 12% des entreprises marocaines sont dirigées par des femmes, dont 37% dans les services, 31% dans le commerce, et 21% dans le textile. Est-ce bien suffisant ? Pas selon Asmae Mouhib, présidente de l'Union des femmes investisseurs arabes. « La majorité de ces femmes dirigent des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE) possédant une durée de vie inférieure à dix ans. Elles apportent ainsi moins de 2,4 millions de dollars par an ». Que faire alors ? « Il faut les encourager par une discrimination positive, en leur proposant des formations supplémentaires, et en leur accordant des conditions de crédit plus avantageuses », avise Mouhib. Souvent plus brillantes dans les études que les garçons, celles-ci se retrouvent rarement aux étagères les plus élevées de la hiérarchie des entreprises. Selon Saloua Karkri Belkeziz, fondatrice de l'Association des femmes chefs d'entreprises du Maroc (AFEM), «cela est souvent dû à un manque d'ambition et de confiance en soi. Elles sont plus tournées vers la réussite familiale». Les chiffres présentés par Mohammed Barech, chef de la division des indicateurs sociaux au HCP, montrent que le mariage tuerait presque la carrière professionnelle. «Le taux d'activité des femmes divorcées est de 44,3% (77,7% pour les hommes), contre 29,5% pour les célibataires (67,3% pour les hommes), et 24,1% pour les mariées (83% pour les hommes)». Ceci n'est plus à prouver, la participation de la femme est importante sur tous les plans. Lorsqu'elle participe aux revenus du ménage, elle favorise l'épargne, et donc la consommation. Cette dernière pousse alors les entreprises qui offrent des biens et services à être plus compétitives. Et au final, c'est l'économie du pays qui en sort victorieuse. Se développer avant de croître «Nous n'avons pas de pétrole, mais nous avons des compétences humaines», lance Karkri Belkeziz. Autrement dit, la seule denrée qui peut apporter des richesses au pays sont les femmes et les hommes qui la composent. Seulement, avant de s'atteler à l'aveuglette à une accumulation de richesses, les pays devraient avant tout se concentrer sur leur développement. Un des moyens cruciaux d'y parvenir se nomme «éducation». José-Roman Leon Lora, chef de service de la section secteurs sociaux et développement rural à la délégation de l'Union européenne de Rabat, est là pour le confirmer. «Il existe une forte corrélation entre égalité et éducation. La base de la discrimination, c'est l'éducation. Et la base du changement aussi». Saloua Karkri-Belkeziz : Fondatrice de l'AFEM* Les Echos quotidien : Quels sont les freins auxquels se heurte la femme dans la création d'entreprises ? Saloua Karkri-Belkeziz : Pour la partie entrepreneuriale, le premier problème auquel est confrontée la femme est principalement le financement. Pas parce que les banques sont sexistes, mais qu'elles demandent des garanties, ce qui est tout à fait normal. Or les femmes ont rarement des biens en leur nom. Biens, maisons et terres sont au nom des hommes. L'Afem avait même émis une idée en accord avec les conseils de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : pourquoi ne pas réfléchir à un centre de garantie adressé spécialement aux entreprises féminines ? Il serait supporté par l'Etat à hauteur de 70% ou autres, et il permettrait de garantir l'entrepreneuriat féminin. S'ils restent nombreux, les freins socioculturels sont moins nombreux, le Maroc a quand même fait un grand pas en avant. Vous poussez donc les femmes à créer des entreprises. À vous entendre, cela semble être plus facile qu'il n'y paraît... Je suis convaincue que toutes celles qui ont de l'ambition, qui aiment les défis, et il y en a beaucoup, peuvent créer leur entreprise. Il n'y a pas assez de création d'entreprises déjà en général dans notre pays, et encore moins lorsqu'il s'agit de femmes. D'ailleurs un des objectifs de création de l'Afem était de pousser les femmes à créer leur entreprise, en se disant : on peut concilier vie professionnelle et vie familiale. Ainsi, en gérant sa propre affaire, on est plus libre d'aménager son temps comme on le souhaite. Le travail de ces femmes dans le secteur informel est aujourd'hui comptabilisé dans le PIB national. Quel est votre avis sur cette prise en compte ? Tout à fait. Le dernier chiffre du Haut commissariat au plan (HCP) par rapport à l'informel a été déclaré par le gouvernement en janvier 2010. On ne dénombre pas moins de 1,55 million d'unités de productions informelles qui génèrent 280 milliards de DH. Au moment de cette déclaration, j'avais été étonnée parce que l'objectif est plutôt de combattre cette donne, et de faire basculer ces femmes vers le secteur formel. Alors que le comptabiliser revient à le reconnaître, et en partie à l'accepter. *Association des femmes chefs d'entreprises du Maroc (AFEM)