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La décompensation du butane, ce n'est pas pour demain !
Publié dans La Vie éco le 19 - 12 - 2014

Un travail technique est en train d'être mené pour identifier les populations éligibles à une aide directe avant la décompensation de ce produit.
Plusieurs départements ministériels sont impliqués dans ce chantier.
Pour 2015, plus de 16 milliards de DH iront à la subvention du gaz butane.
A la faveur de la chute des cours du pétrole sur les marchés internationaux, les consommateurs de carburants viennent de bénéficier d'une baisse conséquente : -92 centimes pour un litre d'essence super, et -70 centimes pour le gasoil. Du coup, les prix entre ces deux produits se rapprochent, ce qui, soit dit en passant, n'est pas une mauvaise chose du point de vue environnemental. Si cela devait amener à une diminution du parc de véhicules diesel, la réforme de la compensation ayant touché les carburants, au-delà de son impact budgétaire, aurait également contribué, peu ou prou, à faire baisser le niveau de pollution dans les villes. Surtout si, comme ils y sont invités, les transporteurs acceptaient de renouveler leur véhicule, moyennant une aide que l'Etat se propose de leur octroyer.
De ce point de vue, la réforme de la compensation, sur le volet carburants, n'aura pas beaucoup impacté les consommateurs, alors que d'un autre côté, elle soulage grandement les finances de l'Etat. Pour l'exercice en cours, la charge globale prévisionnelle de compensation ne devrait pas dépasser 33,5 milliards de DH, dont 28 milliards pour les produits pétroliers. A titre de comparaison, les charges de compensation en 2013 avaient été de 44,4 milliards de DH, dont 38,8 milliards pour les produits pétroliers. Et le gouvernement, qui entend rétablir les équilibres macroéconomiques passablement rompus depuis quelques années, compte poursuivre l'effort de réduction de ces dépenses, en programmant pour 2015 une enveloppe de 31,2 milliards de DH au titre des charges de compensation. Sur ce montant global, 7,5 milliards de DH sont dédiés au financement des arriérés, 2 milliards aux mesures d'accompagnement et 21,7 milliards au soutien des prix. En mettant de côté les 800 MDH du fonds de soutien des prix des produits alimentaires et les 4,8 milliards de DH qui seront alloués à l'Office national de l'électricité et de l'eau (ONEE) dans le cadre du contrat programme conclu avec ce dernier, il reste donc 16,1 milliards de DH pour les produits pétroliers. Cette enveloppe, à vrai dire, servira à couvrir la subvention du gaz butane, les carburants devant être totalement décompensés en janvier. Suivant les cours de ce produit sur le marché international, ce sont en gros quelque 80 DH par bouteille de 12 kg qui sont pris en charge par l'Etat. En 2013, par exemple, la charge du butane avait été de 13,7 milliards de DH, à raison de 83 DH de soutien pour chaque bonbonne de 12 kg. C'est donc, désormais, en matière de compensation, le seul produit qui génère une charge aussi pesante sur le Budget de l'Etat. En conséquence de quoi, si la réforme devait se poursuivre, elle porterait principalement sur le gaz butane. Il se trouve que tous les officiels qui ont un rapport proche ou lointain à ce dossier disent que, bien entendu, la réforme se poursuivra pour englober l'ensemble des produits bénéficiant de la subvention. Mais ça, c'est le principe. Dans les faits, les choses sont un peu plus complexes.
D'abord le butane : tous les ménages, pauvres ou riches, en consomment. Certains plus que d'autres, c'est évident. Mais il n'y a pas que les ménages qui profitent de la compensation, il y a aussi de nombreuses activités qui utilisent le butane subventionné et le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, en a énuméré quelques-unes publiquement devant les députés : «Hôtellerie, restauration, pâtisserie, agriculture, etc.»
Pareil pour le sucre, également utilisé dans l'industrie alimentaire. A ceci près que les industries des boissons gazeuses en restituent la subvention, intégralement depuis 1999, partiellement depuis le 1er janvier 2009. Selon des statistiques publiées par la Cour des comptes, dans son rapport sur le système de compensation au Maroc de janvier 2014, les recettes de restitution sur le sucre se sont établies à 90 millions de DH en 2013, au lieu de 74 millions de DH en 2009, soit une moyenne annuelle de 82 millions de DH entre les deux dates. Et à ce propos, il y a lieu de signaler ici que contrairement à une idée reçue, les dépenses de compensation, depuis 2010, ont été très largement supérieures aux recettes (TVA à l'intérieur sur le sucre, TVA à l'intérieur sur les produits énergétiques, TVA sur les produits énergétiques à l'import, TIC sur produits énergétiques, etc.) provenant des produits subventionnés. Autrement dit, la balance de la compensation est entrée en déficit depuis 2010 : -7,5 milliards de DH, -25,4 milliards, -28,3 milliards et -18,13 milliards, respectivement en 2010, 2011, 2012 et 2013.
En réalité, ce raisonnement qui consiste à comparer les charges de compensation aux recettes fiscales et parafiscales issues des produits subventionnés n'est pas vraiment pertinent: il suggère que si la balance était équilibrée, cela ne poserait pas de problème, ce qui reviendrait à renoncer à une partie importante des recettes au profit d'une consommation non ciblée, alors même que l'Etat consent déjà des dépenses fiscales, évaluées à 34,64 milliards de DH en 2014.
Mais si le gouvernement actuel a réussi à maîtriser les charges de compensation et, ce faisant, à autonomiser le Budget par rapport à cette donne, il l'a fait principalement, pour ne pas dire exclusivement via la composante carburants ; laquelle, il est vrai, représente 78,7% des produits pétroliers consommés et subventionnés.
Rétablissement des équilibres macroéconomiques et maintien des équilibres sociaux
La question que l'on se pose maintenant est de savoir quelles décisions prendra-t-il sur l'autre gros morceau qu'est le gaz butane, qui pèse 21,3% de la consommation nationale en produits pétroliers, soit 2,15 millions de tonnes en 2014 ? Selon une source proche du dossier, s'il est vrai qu'aucun produit n'est exclu de la décompensation, il est tout aussi vrai que pour le moment aucune décision ni aucun calendrier n'existent à cet effet. «Ce qui est vrai en revanche, c'est qu'un travail technique est en train d'être mené pour identifier les populations éligibles aux subventions directes dans le cas où la compensation est levée, et aussi pour définir le séquencement de l'opération; un travail auquel sont associés différents départements ministériels, notamment les plus concernés par le sujet». Notre interlocuteur tient à préciser à ce propos que «ce préalable est absolument indispensable, car si la réforme de la compensation vise à rétablir les équilibres macroéconomiques et, au-delà, à mieux allouer les ressources publiques, la préservation, voire le renforcement des équilibres sociaux sont des éléments totalement intégrés dans la réforme».
A bien réfléchir, et malgré l'existence d'une base de données pour le RAMED, qui pourrait éventuellement servir de point de départ pour le ciblage des populations éligibles à l'aide directe, l'opération, techniquement parlant, semble quand même assez ardue. Cela explique qu'elle prendra du temps, mais cela pourrait également mettre en évidence l'idée que, s'agissant du sucre par exemple, la réforme mise en place en 1999 et consistant en la restitution de la subvention par les industriels est peut-être une piste à explorer ou plutôt à actualiser au moins pour ce produit. Et pourquoi pas pour le butane aussi, puisque tout le monde connaît les secteurs utilisateurs de ce produit. Car distribuer de l'argent n'est jamais une opération simple (voir à ce sujet l'expérience Tayssir), à supposer même que les nécessiteux en soient correctement identifiés ; sans parler des difficultés à cerner les entrées et sorties qui s'opèrent à l'intérieur d'une classe sociale en raison de la mince frontière qui sépare les pauvres de la classe moyenne inférieure, et même de la classe moyenne…moyenne. Tout ceci pour dire que les prochaines étapes de la réforme de la compensation sont les plus compliquées, elles ne sont donc pas pour demain. A moins de prendre le problème par le biais…de la fiscalité. Une fiscalité «discriminante», suivant le volume de consommation du butane par exemple. Cela éviterait de créer des structures dédiées, avec toutes les lourdeurs et les possibles détournements qui vont avec…


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