Et si c'était, d'abord, par une psychanalyse collective qu'il nous fallait commencer avant d'essayer autre chose ? Si elle est réussie, le cerveau disponible de tous les Marocains finirait par construire et s'approprier le meilleur des destins communs. Aadel Essaadani Acteur culturel, il a été à l'origine de nombreux événements et festivals. Afin d'arriver à un développement viable et vivable pour tout le monde, essayons de commencer par établir une «to do list» de nos besoins. Ensuite, hiérarchisons ce qu'il nous faut. Avons-nous plus besoin de politique, d'économie, de culture, de religion, de liberté, de sécurité, de stabilité, de confiture...? Ou alors, comme on dit chez nous, Ghir Sa7a wa Salama, juste la santé et la sécurité nous suffiraient. «L'enfer c'est les autres» Diagnostiquer ce qui nous manque pour être heureux collectivement constitue en soi tout un programme. Sachant que nous n'avons pas tous les mêmes besoins, et qu'il faudrait, déjà, se mettre d'accord sur les fondamentaux. Et ça, ce n'est pas gagné d'avance. Il s'agit d'une tâche que nous n'avons pas souvent réussi. L'évaluation n'étant pas notre fort. A écouter les conversations dans les taxis, les cafés, en famille ou entre amis, les sujets récurrents tournent, presque toujours, autour des «autres». Les autres conducteurs qui ne respectent rien. Les autres clients du café qui parlent fort. Les autres qui ne sont pas éduqués... Tellement obnubilés que nous sommes par repérer les défauts des autres que nous «normalisons», sans vergogne, les nôtres. Cela ne s'arrête pas aux conversations. On dirait que même nos créations artistiques émanent, d'abord, d'un besoin de psychanalyse collective, spécifiquement marocaine. Psychanalyse collective nécessaire Et si c'était cette psychanalyse collective qu'il nous fallait mettre en premier sur notre «to do list». Peut-être c'est elle qui nous permettrait d'entamer ce processus de guérison qu'il nous faut en premier. Après cela, nous réussirons, peut-être, ce début de raisonnement collectif, sans lequel aucune société ne peut être sainement construite. Alors, comment faire ? Allons chercher les expériences d'autres pays qui sont passés par des traumatismes, tels que la guerre, la pauvreté ou le sous-developpement et qui s'en sont sortis par une construction du citoyen et de la société. Par une éducation généralisée et égalitaire, par un revenu minimum décent, par un débat libre, par la créativité et la liberté des artistes... Ces pays ne sont pas si loin de nous. C'est comme ça, par exemple, que l'Espagne a soldé l'ère de Franco et le Portugal celle de Salazar. L'appropriation est la solution Car enfin, faut-il nous l'avouer, notre problème est celui de ne pas pouvoir vraiment parler du fond, ou alors seulement pour noyer le poisson. Nous avons tellement de questions à régler. Et qui ne peuvent se régler que si tous les Marocains se les approprient en tant que sujets qui les concernent tous. «La folie est de toujours se comporter de la même manière et de s'attendre à un résultat différent», disait Einstein. Les mêmes ingrédients aboutissant invariablement aux mêmes résultats. La folie, en effet, est de persister à ne pas se soucier de la réception et de l'implication de tous les Marocains. Il s'agit évidemment de commencer par le cerveau, le ministre de la Culture devrait être, d'abord, un psychanalyste. Sa mission devrait être de travailler la psyché du Marocain pour qu'il s'approprie un destin commun, prenne soin de l'espace public et agisse pour l'intérêt général. Charité bien ordonnée commence par soi-même. Cette chronique fait partie de ma propre psychanalyse avec laquelle j'espère «contaminer» mes autres concitoyens. Inchallah. La culture est la solution.