Entre modernisation de l'appareil productif, transfert de technologies turques et relocalisation, l'industrie locale de la chaussure se sent pousser des ailes. Mais des problèmes récurrents restent à régler. Un vent d'optimisme souffle sur l'industrie de la chaussure au Maroc, en témoignent les récents investissements dans l'appareil productif national. En novembre dernier, la société Pretty Shoes, spécialisée dans la fabrication et l'exportation de chaussures, inaugurait à Mohammedia une nouvelle unité de 12.000m2, qui a nécessité un investissement de plus de 26 MDH. Plus récemment, début mars, la société Meva Shoes inaugurait, toujours à Mohammedia, une usine d'un investissement de 23 MDH, calibrée pour produire 2.000 paires de chaussures par jour, soit une capacité annuelle se situant entre 600.000 et 700.000 paires. L'investissement a bénéficié de l'appui de l'Etat dans la mesure où il s'inscrit dans la stratégie de substitutions aux importations menée par le ministère de l'Industrie. Dans ce dernier cas, c'est la fabrication de chaussures de sport qui est visée, dont une grande partie est importée. Ces investissements dans la filière chaussure, et d'autres similaires qui sont en cours, ont un point commun : ils visent à moderniser l'appareil productif national, dans une logique de rattrapage du retard technologique pris par le Maroc par rapport aux pays les plus avancés dans ce domaine, notamment la Turquie. Transfert de technologies et formation «Nous sommes partis d'une interrogation simple : pourquoi les grandes enseignes de magasins internationales basées au Maroc préfèrent-elles s'approvisionner de Chine et de Turquie et pas du Maroc?», raconte Hamid Ben Rhrido, directeur général de Meva Shoes. «Nos concurrents sont meilleurs que nous en termes de matières premières, notamment dans tout ce qui est synthétique, accessoires, etc. Mais nous avons un avantage en termes de main-d'œuvre, de savoir-faire et d'emplacement. L'idée était donc de faire un mix des deux en ramenant leurs technologies et formateurs ici au Maroc et les associer à notre savoir-faire», explique-t-il. L'usage par les fabricants marocains de ces technologies modernes, qui permettent de produire toutes les gammes de chaussures, de la plus basse à la plus haute, a nécessité un investissement important dans l'appareil productif, via notamment l'achat de machines à injection ainsi que des moules pour chaque modèle. «Nous avons importé des machines dernier cri de Turquie et accueilli des ingénieurs et des techniciens turcs pendant 3 mois», indique Ben Rhrido. Le résultat fut probant : «LC Waikiki achète nos produits au même prix et la même qualité que ceux que la marque importait auparavant de Turquie. C'est un modèle gagnant, pas seulement pour la chaussure, mais aussi pour le textile», se félicite-t-il. Et d'ajouter: «La clé est de sortir du modèle traditionnel de production et de ses machines. Sinon le secteur ne pourra pas s'adapter». Relocalisations industrielles au Maroc Ce dynamisme retrouvé de l'industrie marocaine de la chaussure est corroboré par les chiffres des exportations. D'après Azzedine Jettou, président de la Fédération marocaine des industries du cuir (FEDIC) et patron de la société Shoeleven Company, les exportations de cuir ont culminé à 4 MMDH en 2022, en hausse de 25% par rapport à l'année précédente. Sur ce montant, les exportations de chaussures représentent près de 2,8 MMDH. Une progression importante qu'il attribue à plusieurs facteurs, dont la relocalisation de productions depuis la Chine et la Turquie vers le Maroc. «Zara, par exemple, a déplacé beaucoup de commandes vers le Maroc», souligne-t-il. L'autre facteur déterminant, toujours selon cet industriel, est la cherté des transports qui a permis à la chaussure marocaine de gagner en compétitivité, vu sa proximité avec les marchés cibles. D'après le patron de la FEDIC, «les grands donneurs d'ordre ont tendance à privilégier les commandes short-time vers des pays comme le Maroc proches des marchés cibles, plutôt que de lancer de grosses commandes risquées sur l'Asie. Aujourd'hui, ce sont les marchés français, portugais et espagnol qui dynamisent notre activité».
Amont du cuir : en attendant Ain Cheggag Plusieurs cailloux restent cependant dans la chaussure de la filière : la qualité de la matière première disponible au niveau local, d'abord. «Le cuir est disponible en quantité mais il n'est pas de bonne qualité. Au niveau de l'abattage, il y a un gâchis d'environ 60% de la matière. Il y a un problème également au niveau de la conservation. Ce qui fait que les fabricants qui exportent font de l'importation temporaire depuis l'Italie, l'Espagne et le Portugal», déplore notre interlocuteur. Cette configuration pèse sur les marges des producteurs marocains. «Avec un taux d'intégration de 60% dans le cuir, le chiffre d'affaires actuel serait doublé», affirme Jettou. Une solution à cette problématique pour les professionnels, qui négocient un nouveau contrat-programme avec l'Etat, pourrait venir des nouvelles zones industrielles qui permettront d'améliorer l'amont de la filière, notamment celle de Ain Cheggag, dans la région de Fès, dont les travaux sont toujours en cours. «C'est notre avenir. Ain Cheggag sera un parc industriel de nouvelle génération qui va sauver tout un secteur», affirme le président de la FEDIC. Il faudra cependant encore patienter avant son entrée en service. Comme nous l'apprend notre interlocuteur, la station d'épuration, pièce maîtresse du parc industriel, devrait être achevée fin 2023-début 2024, comme promis par la Région. «Le marché est en cours de passation. Une fois que la station d'épuration sera opérationnelle, les industriels commenceront à s'installer dans le parc. Des avances ont déjà été versées, notamment par des tanneurs de la région de Fès. Le démarrage est prévu en 2025. Notre objectif est que cette zone puisse attirer les gros investisseurs internationaux du secteur de la tannerie», fait-il savoir. De quoi permettre à la ville de Fès de renouer avec son histoire ancestrale de pôle mondial du travail du cuir. Le poids démesuré de l'informel L'informel est un autre défi de taille pour les fabricants locaux de chaussures. Un chiffre fourni par Azzedine Jettou permet d'appréhender l'ampleur du phénomène : la production de chaussures par les unités informelles égale celle du secteur formel, soit 10millions de chaussures par an. Les petits ateliers clandestins, de 10 à 15 personnes, pullulent dans à peu près toutes les grandes villes, contribuant à saper les efforts de modernisation du secteur. L'Etat déploie de gros moyens pour essayer de les intégrer dans le circuit formel en leur réservant des locaux à petits prix dans les différentes zones industrielles en cours de construction. A Casablanca, des locaux de 300 m2 sont en cours de mise en place dans la zone industrielle de Ahl Loghlam, avec un loyer de 3.000 dirhams et une participation de 50% de la ville sur trois ans.