Appel d'offres non conformes, permis de construire et d'habiter illégaux, bénéfice personnel…, de lourdes accusations pèsent sur le maire PJD de Meknès. Le PJD instrumentalise l'affaire et crie au complot. Le ministère de l'intérieur met les points sur les « i » : tous les élus, quel que soit leur parti, sont sur un pied d'égalité. Jusqu'où ira le Parti de la justice et du développement dans son attitude de confrontation avec les autorités ? L'affaire de la révocation d'Aboubakr Belkora, président de la commune urbaine de Meknès, qui aurait pu s'arrêter à des arguments et contre-arguments, sur lesquels la justice aura le dernier mot, est en train de prendre une tournure politique, approche des communales oblige. Il n'est donc pas étonnant de voir le PJD instrumentaliser l'affaire. Le parti islamiste est même allé jusqu'à organiser, le 31 janvier, un point de presse pour protester contre la révocation du maire de la ville. Répondant point par point et de manière plutôt ferme, l'Inspection générale de l'administration territoriale (IGAT) a tenu, lundi 2 février, une conférence de presse pour présenter sa mission, les résultats qu'elle a obtenus au cours de l'année 2008 mais aussi et surtout donner sa version des faits dans cette affaire. Et des accusations à l'égard du maire PJD de la capitale ismaélienne, l'IGAT en a formulé beaucoup lors de ce point de presse. A la suite de trois enquêtes, menées déjà depuis juin dernier et ayant pris fin en décembre, M. Belkora est accusé d'avoir attribué 8 autorisations de construire et 18 permis d'habiter non légaux. Les inspecteurs dépêchés dans sa commune ont également observé 500 cas de non-respect de la procédure relative à la sanction des infractions enregistrées dans le domaine de l'urbanisme. Bien plus, selon des sources bien informées, six appels d'offres lancés pour la réfection de la voie publique à Ismaïlia, Zaïtouna et Hamria, à la suite d'un prêt de 250 millions de DH du Fonds d'équipement communal, n'ont pas respecté les normes exigées dans ce domaine – le bitume récemment étalé a déjà été emporté par les dernières pluies. A cela s'ajoute le fait que le cabinet d'études choisi, selon l'enquête de l'IGAT, n'était pas compétent en la matière et qu'il a déjà fait l'objet d'une enquête en 2004 et serait dirigé par un proche de M. Belkora. Enfin, et plus grave, car impliquant un bénéfice personnel, la construction d'un ensemble résidentiel de neuf immeubles regroupant 200 appartements par une société appartenant à l'épouse de M. Belkora a été entachée d'une série d'irrégularités. Parmi ces dernières, l'attribution au projet de trois certificats administratifs considérés comme illégaux par l'IGAT, sa construction dans une zone réservée aux villas, et l'ajout d'un cinquième étage là où des R+4 avaient été autorisés. Enfin, les appartements, commercialisés par une autre société appartenant au maire de Meknès et à son fils, ont été classés comme des logements économiques, ce qui leur a permis de bénéficier, indûment selon l'IGAT, de plus d'un million de DH d'exonérations fiscales. Désormais, le ministère annonce son intention de poursuivre A. Belkora devant la justice. En face, le parti de Abdelilah Benkirane annonce son intention de faire appel contre la révocation de son maire et menace même de retirer ses élus du conseil de ville en guise de protestation… Tout le monde dans le même panier : élus de la majorité comme de l'opposition Pourtant, M. Belkora n'est pas le seul responsable mis en cause dans la capitale ismaélienne : le deuxième vice-président de la commune, encarté au RNI, l'est aussi, et, selon des élus locaux, il n'est pas exclu que d'autres responsables subiront le même sort. La commune rurale de Oulmès vient, elle aussi, de perdre son président, haraki. Enfin, à Casablanca, les dernières semaines ont vu pas moins de 70 personnes présentées à la justice, dont une vingtaine de conseillers communaux, et en particulier les présidents des communes de Lahraouiyine (MP) et Aïn Sebaâ (RNI), en relation avec l'apparition de constructions clandestines. Relativement épargné jusqu'à présent, le parti de M. Benkirane est pourtant le seul à être monté au créneau. «Le problème dans cette affaire, c'est son timing, et l'importance de la sanction adoptée à l'égard de M. Belkora», explique Abdelilah Benkirane, joint au téléphone par La Vie éco, lundi 2 février, dans la soirée. Ce dernier reconnaît néanmoins ne pas être pleinement au fait du contenu du dossier. «Le ministre de l'intérieur m'a parlé d'une seule chose qu'il considérait comme inacceptable : une dérogation pour un terrain que M. Belkora avait acheté avec son épouse. Il était concevable que l'affaire aille jusque devant la justice, mais pas qu'elle en arrive au limogeage», indique-t-il. Et d'ajouter : «Nous ne disons pas que M. Belkora n'a pas eu tord. Toutefois, nous pensons qu'il s'agit d'un dossier juridique, à connotation de plus en plus politique, et qui risque d'être annonciateur d'un changement d'attitude vis-à-vis de notre parti». En effet, selon une règle tacite en vigueur depuis des années, les autorités auraient tendance à observer une trêve dans leurs poursuites à l'égard des élus locaux à la veille des élections. Du coup, la décision de mettre en cause M. Belkora a été interprétée par le parti de la lampe comme relevant d'une volonté de porter atteinte à sa crédibilité à la veille des élections communales. Après tout, la ville de Meknès est la première vitrine du PJD en matière de gestion locale, et ses responsables ne manquent pas de pointer du doigt les maires d'autres villes, qui n'ont pas été inquiétés alors qu'ils ont fait l'objet de rapports particulièrement sévères de la part de la Cour des comptes. Mais le PJD semble quelque peu manquer d'arguments, puisque justement à l'approche des communales, tous les partis en ont pris pour leur grade. Lundi 2 février, Mohamed Fassi Fihri, le patron de l'IGAT, levait toute ambiguïté en replaçant l'enquête dans son contexte. Selon lui, en effet, la gestion de la ville de Meknès est examinée depuis près de 8 mois, plus exactement le 16 juin 2008, date à laquelle une première mission avait été envoyée sur le terrain. Entre-temps, deux autres missions ont été organisées, dont une spécifiquement destinée à examiner l'état des routes de la commune. Enfin, M. Belkora a eu tout le temps nécessaire pour répondre aux remarques des inspecteurs. Elections ou pas, l'Intérieur entend poursuivre son travail : assainir la gestion des collectivités locales Généralement, de telles missions ne sont pas décidées à la légère. Elles sont organisées tous les ans, sur la base d'échos enregistrés à travers différents médias mais aussi en tenant compte d'une moyenne de 5 000 plaintes reçues des citoyens ou élus chaque année. Pas moins de 188 missions ont été organisées au titre de la seule année 2008, dans une soixantaine de collectivités urbaines ou rurales, dont Témara et Ksar El Kébir, toutes deux dirigées par des maires PJD, mais où aucune sanction n'a été prise. Au-delà de la personne de M. Belkora, dont un rapport de la Cour des comptes a également critiqué les méthodes de gestion, les enquêtes du ministère de l'intérieur ont mené à la destitution de pas moins de 18 présidents de conseils communaux, appartenant aussi bien aux partis de la majorité qu'à ceux de l'opposition, dont l'Istiqlal, l'USFP, le MP, le RNI, le CNI ou encore le MDS. A ces derniers s'ajoutent 20 adjoints, et 5 autres présidents suspendus. Le cas du PJD est donc loin de constituer une exception, d'autant plus que, approche des élections ou pas, M. Fassi Fihri a précisé que l'IGAT a bien l'intention de poursuivre ses travaux et réclamer toutes les sanctions qui lui paraîtront nécessaires, indépendamment des élections. Cette volonté de l'Etat d'assainir la gestion des collectivités locales, indépendamment du calendrier électoral, gêne fortement le PJD qui se serait bien passé d'une aussi mauvaise publicité à l'heure où il se prépare à présenter près de 10 000 candidats dans la course prévue le 12 juin. Mais sa fébrilité s'explique aussi par le contexte quelque peu difficile que vit le parti, depuis que la presse a rapporté des propos de M. Benkirane dans lesquels le secrétaire général du parti a revendiqué que le PJD était derrière l'idée de l'ouverture du « Compte d'aide à la Palestine», auprès de Bank Al Maghrib. Des déclarations qui ont suscité une réaction cinglante du Premier ministre Abbas El Fassi, qui a «rejeté toute tentative d'exploiter ou de faire un fonds de commerce des causes fondamentales de la patrie et de la nation», poussant M. Benkirane à revenir sur ses propos. A cela s'ajoutent les informations concernant des défections massives de militants à Sefrou, Nador, Casablanca et Marrakech, et dont le parti n'a pas tardé à contester l'importance, sans pouvoir en nier l'existence. Des départs que certains observateurs attribuent à l'influence toujours prégnante du Mouvement unicité et réforme (MUR) sur le parti. Révocation d'un président de commune ? Une démarche prévue par la loi C'est à la lumière de ces éléments qu'il faut interpréter la réaction disproportionnée du PJD, qui crie -et ce n'est pas la première fois- au complot. Aujourd'hui, interrogé sur les accusations dont il fait l'objet, M. Belkora se dit innocent : concernant les autorisations délivrées, il affirme avoir respecté les normes; pour les appels d'offres en relation avec le revêtement du sol à Meknès, il réplique qu'il est difficile de reprocher aux sociétés détentrices des marchés la mauvaise qualité de leurs travaux alors qu'elles n'ont pas été payées, et que les chantiers n'en sont encore qu'à leurs débuts. Enfin, concernant le complexe résidentiel construit par son épouse, il affirme que cette dernière a simplement profité de la nature du terrain pour transformer une partie du sous-sol en zone d'habitation, et certifie n'avoir bénéficié des ristournes destinées à l'habitat économique que pour les appartements dont la superficie correspond aux critères de ce dernier. Vrai ou faux ? L'essentiel n'est pas là, car il revient à la justice de trancher et M. Belkora et son parti pourront toujours faire appel, s'ils n'admettent pas son jugement. En attendant, tout comme des élus ont été destitués de leur poste, la loi autorise le Premier ministre à révoquer un président de commune, si les éléments d'enquête à charge sont suffisamment probants. De fait, devant l'usage d'une sanction prévue par la Charte communale, un texte validé par le Souverain, le gouvernement et le Parlement, le PJD agit comme si sa spécificité était un rempart contre la loi. Le PJD n'est pas au-dessus de cette dernière, et il court aujourd'hui le risque non négligeable de voir le battage médiatique organisé autour de M. Belkora se retourner contre lui si la justice confirme les accusations de l'IGAT. Affaire à suivre…