La date du début du déficit global selon les caisses se situe entre 2015 et 2023 et la date d'épuisement des réserves entre 2028 et 2044. La révision des modes de gestion des caisses de retraite est indispensable pour faire face à la fragilité des équilibres financiers. Le dossier de la réforme des régimes de retraite, qui s'inscrit dans le cadre du grand chantier de généralisation de la protection sociale, fait face à un double défi : combler le déficit et éviter la faillite des caisses, d'une part, et garantir la pérennité de ses équilibres financiers, d'autre part. Cette situation critique des régimes de retraite au Maroc a été évoquée récemment par le gouvernement et a fait l'objet de plusieurs rapports soumis par des institutions nationales dans lesquels elles font état de difficultés accrues, liées à leur pérennité et à leur équilibre financier. Il s'agit de tirer la sonnette d'alarme et d'appeler à prendre des mesures urgentes au lieu de se limiter à des solutions conjoncturelles qui n'assurent pas la pérennité du financement des caisses de retraite. Dans ce sens, et à la lumière des conclusions de l'accord social et de la Charte nationale du dialogue social, signés le 30 avril dernier par le gouvernement, la CGEM et les centrales syndicales les plus représentatives, l'Exécutif vise à lancer un dialogue ouvert avec les différents partenaires sociaux pour mettre en œuvre une réforme globale des régimes de retraite. Le gouvernement a reconnu, par le biais de la ministre de l'économie et des finances, Nadia Fettah Alaoui, la situation difficile que connaissent les régimes de retraite. La ministre a ainsi déploré, lors d'une récente intervention à la Chambre des conseillers, l'absence d'une vision cohérente du secteur, estimant qu'il y a un écart entre les cadres institutionnels des régimes, leur gouvernance et leur mode de gestion, outre les disparités entre les régimes en raison de l'absence de l'équité entre les adhérents et la faiblesse du taux de couverture. Deux chiffres ont été dévoilés par la responsable pour démontrer la fragilité des équilibres financiers: la date du début du déficit global selon les caisses entre 2015 et 2023 et la date d'épuisement des réserves entre 2028 et 2044. Elle a rappelé, à cet égard, les recommandations de la commission spéciale dédiée à la réforme qui a estimé que la mise en place de deux pôles de retraite est le cadre général de la réforme, outre l'élargissement de la couverture sociale et l'inclusion de la réforme paramétrique des régimes de pensions civiles dans le cadre du dialogue social, sans oublier la réforme paramétrique lancée en 2016. Selon elle, ces mesures restent toutefois insuffisantes pour instaurer une réforme globale des régimes de retraite. La ministre a ainsi souligné la nécessité de généraliser la retraite à l'ensemble des Marocains, conformément aux Hautes orientations royales, dans le cadre du grand chantier de la protection sociale, qui sera abordé après achèvement de celui relatif à la couverture sanitaire, faisant observer que le système de retraite est composé de différentes caisses disposant aujourd'hui de 4 millions de personnes qui y contribuent et de 1,4 million qui en bénéficient. Nadia Fettah Alaoui a, en outre, souligné la disposition de son département à ouvrir ce dossier, notant que des études techniques ont été réalisées avec des experts et responsables de la gestion des caisses de retraite, outre la tenue d'une série de réunions avec les différents partenaires concernés. Syndicats : Oui à la réforme… mais pas au détriment des salariés Le secrétaire général de l'Union marocaine du travail (UMT), Miloudi Moukharik, a accueilli avec satisfaction l'approche du gouvernement appelant les partenaires sociaux à s'asseoir à la table des négociations, faisant observer que la réforme paramétrique ne doit pas se faire au détriment des salariés qui paient régulièrement leurs cotisations. «Les fonctionnaires n'ont aucune responsabilité de la faillite que va connaître la CMR et les autres caisses de retraite», a souligné M. Moukharik, affirmant qu'ils ont payé leurs cotisations alors que l'Etat, depuis 1960 et jusqu'en 2003, n'a pas payé sa part de cotisation (part patronale). Le problème des caisses de retraite est un problème de gouvernance des épargnes des salariés et des fonctionnaires, a-t-il dit, estimant qu'ils ne doivent pas subir les conséquences de la mauvaise gestion de ces caisses. L'UMT est pour la pérennité des caisses de retraites, notamment la CMR à laquelle adhèrent les fonctionnaires, a-t-il dit, notant que la réforme ne doit pas être aux dépens de cette catégorie sociale. L'ancien gouvernement n'a pas mené une véritable réforme, puisque la situation de la caisse est la même, a-t-il déploré. Même son de cloche chez Abdellah Hssaein, du bureau exécutif de l'UGTM, qui rappelle que l'ancien gouvernement a adopté une approche unilatérale en augmentant les prélèvements, ce qui a constitué une charge pour les fonctionnaires, relevant que la réforme menée était partielle et n'a concerné que les pensions civiles à la CMR. Le problème a commencé durant les années 1990, a-t-il dit, notant que l'UGTM a été le premier syndicat a appeler à la réforme après que des études ont prédit le déficit, de même que cette centrale syndicale a plaidé pour une approche globale dans ce sens. Il a, en outre, salué l'initiative du gouvernement visant à associer les syndicats et les partenaires sociaux à la réforme du régime des retraites, assurant que l'UGTM est ouverte au dialogue et est disposée à contribuer à cette réforme. Parmi les mesures proposées pour entamer la réforme, M. Hssaein cite la préservation des postes d'emploi pour contribuer au financement des caisses des retraites et l'augmentation les recrutements dans le secteur public pour élargir la base des adhérents. Il propose aussi la création d'une caisse unifiée au niveau national comprenant les secteurs public et privé pour élargir la base des adhérents. Il s'agit aussi du paiement par l'Etat des deux tiers des cotisations contre un tiers pour le fonctionnaire, à l'instar de ce qui est en vigueur dans le secteur privé, et l'instauration de la justice sociale dans l'octroi des pensions. Il a également plaidé pour une réforme qui prône le travail décent, notant que la justice sociale ne peut être réalisée sans une pension garantissant la dignité du fonctionnaire et de l'employé. Selon lui, l'Etat doit être à l'écoute des revendications des centrales syndicales pour l'adoption d'un système juste des retraites. Réforme des régimes de retraite au Maroc : Etapes et rapports institutionnels Le système marocain de retraite est composé principalement de quatre caisses réparties entre le secteur public, à savoir la Caisse marocaine des retraites (CMR) et le Régime collectif d'allocation de retraites (RCAR), et le privé qui comprend la Caisse Nationale de sécurité sociale (CNSS) et la Caisse interprofessionnelle marocaine de Retraite (CIMR) qui représente un régime complémentaire ayant un caractère facultatif pour les employés du privé. En 2004, il a été procédé à la création de la commission spéciale dédiée à la réforme des régimes de retraite et après le lancement d'une étude sur le système visé, ladite commission avait préconisé en 2013 un système bipolaire public-privé et une réforme paramétrique du régime des pensions civiles en 2016, ce qui a permis de passer d'un horizon de viabilité du système de 2022 à 2027. Un rapport de la Direction du Trésor et des finances extérieures relevant du ministère de l'économie et des finances avait résumé les principales étapes de la réforme du système de retraite, à travers une mise en œuvre progressive des recommandations de la commission nationale en charge de la réforme : Réformes paramétriques qui ont porté sur le régime des pensions civiles en 2016 et le RCAR (entamé en 2021) et dans la perspective de l'appliquer au niveau de la CNSS. Généralisation de la couverture au profit des travailleurs non salariés entre 2023 et 2025 conformément aux Hautes orientations royales. Réforme globale des régimes de retraite en accordant la priorité au secteur public. Rapports institutionnels : Une mise en garde pour se rattraper. Rapport de la Cour des comptes 2019-2020. Le rapport de la Cour des comptes au titre de 2019-2020 insiste sur la caractère urgent de la réforme des régimes de retraite en se basant sur les données suivantes : Une couverture retraite globale qui reste limitée par rapport à la population active. Un taux de couverture ne dépassant pas 42% parmi 5,4 millions de personnes à fin 2020, en dépit du progrès réalisé au niveau de la CNSS. Multitude des régimes de retraite qui restent cloisonnés, fonctionnant avec des paramètres différents et continuant d'être régis par des règles de fonctionnement peu harmonisées. Régime des pensions civiles de la Caisse marocaine des retraites (RPC-CMR) Malgré la réforme paramétrique de 2016 et la batterie des mesures prises, le redressement des différents indicateurs du régime n'est à escompter que sur le long terme. Le régime sera confronté au risque de liquidité à partir de 2023. Risque d'épuisement de ses réserves à l'horizon 2026. Régime général du Régime collectif d'allocations de retraite (RCAR) Bien qu'il ne connaisse pas de problèmes de viabilité à court terme, le déficit technique (enregistré depuis 2004) se creusera davantage pour atteindre 6,53 MMDH sur l'horizon de projection des 60 années à venir A partir de 2028, le régime enregistrera son premier déficit financier. Régime général de la CNSS Un déficit technique du régime (branche long terme) dès 2029. En l'absence de mesures de correction, les réserves seraient épuisées en 2046. Couverture retraites des travailleurs non salariés Retard dans la mise en œuvre effective de la couverture prévue par la loi 99.15 de 2017. Difficultés liées à la non-homogénéité de cette catégorie. Hégémonie du secteur informel. Recommandations de la Cour des comptes : Réforme de la gouvernance et du pilotage des régimes. Poursuite de la révision et l'harmonisation des paramètres des régimes de retraite. Facilitation de la convergence des régimes dans l'optique de convergence des régimes existants vers un régime cible préalablement défini. Importance de la réforme paramétrique adoptée en 2016 par le gouvernement: impact positif sur la pérennité du système en limitant son endettement. Accélération du rythme des réformes paramétriques. Mise en place de solutions de financement appropriées dans le cadre d'une feuille de route globale de la réforme structurelle.