Il n'y a pas d'âge pour diriger une équipe, tout est question de maturité et de compétence. Un jeune manager doit mettre en valeur les qualités des anciens pour mieux asseoir son autorité. Chaque collaborateur connaît un pan de l'histoire de l'entreprise, ce savoir doit être capitalisé. rollande allène Directrice du cabinet Formaction Le management intergénérationnel permet à tout le monde de travailler dans l'harmonie. Il subsiste en effet une séparation entre les salariés d'âge différent avec de vrais problèmes de communication. Il n'est pas facile de gérer des collaborateurs plus âgés que soi. A travers des problèmes qui sont souvent d'ordre relationnel, c'est la légitimité du patron qui est remise en cause. Il lui faut donc s'armer de courage et ménager les susceptibilités pour s'imposer. Explications avec Rollande Allene, directrice du cabinet Formaction. La Vie éco : Les seniors se sentent de plus en plus menacés par un management plus jeune, assiste-t-on réellement à une guerre de générations au sein de l'entreprise ? Rollande Allène : Il est vrai que les seniors sont souvent discriminés dans leur entreprise par un management plus jeune. Ce sont quelque part les effets des changements majeurs que connaît le monde du travail : mue de l'emploi et du travail avec l'informatisation des métiers, redéfinition des postes, rajeunissement des effectifs… Ils sont les premières victimes. Il faut souligner que les médias se sont focalisés ces dernières années sur la réussite des jeunes managers… Ce qui a provoqué d'une certaine manière un manque d'intérêt pour les moins jeunes. Souvent, dans l'entreprise, la raison principale de la mise à l'écart des seniors est liée à l'arrivée d'un nouveau manager, la quarantaine voire la trentaine, à la tête d'un service, département ou carrément de l'entreprise. Il veut imposer son style en faisant table rase du passé tout en ignorant l'expérience de ses aînés qu'il va diriger. Or, ces dérives peuvent être néfastes pour le fonctionnement de l'entreprise. Souvent les jeunes managers ont du mal à asseoir leur légitimité auprès d'une équipe composée de personnes plus âgées. Comment expliquez-vous cette situation ? Chaque fois qu'un jeune manager prend en charge une équipe composée de personnes plus âgées, il y a un sentiment d'injustice, surtout de la part de ceux qui n'ont pas eu l'opportunité d'être promus. D'où des comportements de désengagement. La nomination d'un jeune peut aussi provoquer un effet démobilisateur sur son équipe si toutefois il ne la rassure pas sur certains points. Le premier est qu'il mérite sa place et qu'il a fait ses preuves ailleurs pour pouvoir occuper ce poste. En deuxième lieu, il doit être prêt à écouter ses collaborateurs – mais l'inverse est tout aussi vrai. Troisième point, il doit reconnaître le mérite des personnes plus âgées et qui ont plus de vécu dans l'entreprise. Il ne faut pas oublier que la nomination d'un jeune peut créer chez les anciens un sentiment de dévalorisation de leur propre expérience. Le nouveau manager doit justement revaloriser leur expérience, les écouter, les impliquer… Les risques d'échec peuvent alors être minimisés. Très souvent, c'est l'immaturité qui conduit à ce qu'on appelle parfois l'autisme des jeunes dirigeants. La fierté légitime d'être reconnu, d'avoir bénéficié d'avantages les conduit à se mettre sur la défensive pour cacher leur faiblesse. Ce manque de confiance entraîne des comportements autoritaires. On parle souvent de management interculturel. Mais je pense, qu'aujourd'hui, il faut savoir aussi former les jeunes managers à l'intergénérationnel pour que tout le monde puisse travailler dans l'harmonie. Il subsiste encore une séparation entre les salariés d'âge différent avec de vrais problèmes de communication. De plus, l'entreprise n'emploie pas les compétences de chaque génération de façon optimale. Y a-t-il un âge requis pour occuper un poste de responsabilité ? Je ne pense pas que l'âge soit important. Tout dépend de la maturité et de l'expérience des individus. Est-ce pour autant que le management des seniors constitue un casse-tête pour les entreprises ? Oui, si elles n'engagent pas une véritable politique RH ! Il ne faut pas oublier que l'impact des départs des seniors de l'entreprise est important : pénurie des compétences, perte de savoir-faire, perte des valeurs et de la culture de l'entreprise… N'oublions pas également que si la retraite à 65 ans est appliquée, il faudra que les entreprises renforcent leur politique RH à travers une meilleure gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Quelles sont les solutions qui peuvent être proposées aux seniors ? Il faut identifier des parcours spécifiques à leurs profils, concevoir des actions de formation leur permettant de demeurer en activité après un bilan de compétences, s'intéresser à de nouvelles formes d'intervention en entreprise comme le mentoring ou le tutorat… Le maintien des seniors peut se faire aussi par d'autres formes de travail comme le recours au télétravail, le temps partiel, une politique attractive de rémunération… Vécu à la fois comme une menace et comme une opportunité, le «papy-boom» va inciter les entreprises à innover pour assurer le renouvellement des générations, avec le souci d'assurer le transfert des savoir-faire spécifiques de l'entreprise. Cela implique à la fois l'identification des compétences menacées, leur transmission par de nouvelles méthodes, le recours au recrutement pour équilibrer la pyramide des âges… Des exemples sur la place ? Certaines entreprises y réfléchissent ou ont entamé des démarches dans la transmission du savoir. La Lydec ou encore Maroc Telecom constituent de bons exemples. Mais il en existe bien d'autres. En fin de compte, les seniors peuvent jouer un rôle important dans le renforcement de la culture de l'entreprise ? Absolument ! Manager les seniors revient donc à les ménager. C'est-à-dire mettre en valeur la richesse qu'ils représentent : capacité d'adaptation liée à la diversité des expériences passées, capacité d'interprétation des situations liée à la variété des tâches exercées, capacité de collaboration liée à la multiplicité des relations tissées au sein ou en dehors de l'entreprise… Je pense que les seniors constituent la trame la plus profonde du tissu de l'entreprise. Ils contribuent non seulement à conserver cette trame, mais aussi à en cultiver une nouvelle. Cela nécessite un contact permanent entre l'ancienne et la nouvelle générations. Les seniors peuvent par ailleurs valoriser auprès des plus jeunes leurs expériences, les difficultés qu'ils ont rencontrées, les pièges qu'ils ont dû éviter… Je pense aussi qu'il faudrait mettre en place une base de données capable d'accumuler tous les récits d'expériences et de les restituer dans le contexte de problèmes émergents, et une cartographie du tissu humain pour restituer l'expansion de l'entreprise. Chaque personne de l'entreprise, du manager au cadre opérationnel, en passant par le coursier et d'autres ont une histoire à raconter sur la vie de l'entreprise. Il faut savoir capitaliser sur ces savoirs.