Au Maroc, comme en Europe, l'audit social reste méconnu des managers à différents niveaux. L'avenir de la discipline est prometteur car les exigences dans le domaine social sont au fil des années de plus en plus fortes. Pour Mohammed Emtil, directeur général d'Espace RH, ancien DRH et auditeur social certifié, la prolifération des règles, procédures et normes sociales ont obligé les entreprises à revoir leur structure de travail et le rôle du management sur le plan opérationnel. L'audit social apparaà®t donc comme élément de développement de la performance de la fonction ressources humaines et de la performance globale de l'entreprise. Explications. La Vie éco : Comment voyez-vous l'évolution de ce métier au Maroc et ailleurs ? Mohamed Emtil : Pendant des décennies le seul critère de la performance était celui de la performance économique et financière d'une entreprise. La préoccupation dominante était la dernière ligne du bilan, celle qui permettait de répondre à la question : combien de dividendes pourra-t-on distribuer aux actionnaires ? Aujourd'hui, et depuis deux décennies, la donne change et de nouvelles exigences apparaissent. D'abord, au début des années 80, la contrainte économique a commencé à intégrer la composante «client», d'oà1 l'apparition de la norme ISO 9000 liée à la gestion de la qualité ; ce qui, par voie de conséquence, a amené les organisations à revoir leur structure de travail et le rôle du management sur le plan opérationnel. La conjonction simultanée de catastrophes écologiques et l'éclatement de scandales sociaux et financiers de taille ont fait émerger, à l'échelle mondiale, des critiques de sens et de valeurs, et ont suscité des initiatives d'ONG et de grandes institutions internationales.La prise de conscience de l'exigence du client à l'origine de cette profonde mutation a progressé au fil des années pour s'intéresser aussi au rôle social de l'entreprise. Les multinationales ont alors vite compris que la performance globale ne peut se réaliser sans l'intégration du profit, évidemment, mais aussi sans la responsabilité vis-à -vis du client, sans la responsabilité vis-à -vis de l'environnement et aussi sans la performance sociale et éthique qui est la responsabilité vis-à -vis des parties prenantes. L'auditeur social occupe dans cet espace une place fondamentale puisque la discipline qu'il utilise permet de mettre en évidence le constat, les écarts de non-conformité, pose le diagnostic, éclaire le prescripteur sur la taille du risque couru en se basant sur des référentiels bien définis, formule des conclusions et enfin des recommandations générales. L'audit social apparaà®t donc comme élément de développement de la performance de la fonction ressources humaines et contribue en ce sens à la performance globale de l'entreprise et constitue incontestablement un investissement productif pour participer en tant que partenaire stratégique essentiel dans la création de valeur au sein des organisations. Qu'est-ce qui vous a poussé à vous y intéresser ? C'est le prolongement naturel d'une expérience capitalisée de près de trois décennies. Pour moi, c'est un aboutissement en tant qu'ancien DRH dans de grands groupes. Dans tout ce système, le DRH doit aider l'organisation à atteindre ses objectifs stratégiques et faire en sorte que la stratégie RH se conforme à la stratégie d'entreprise. Ceci implique que le DRH participe à la définition de la stratégie de son entreprise et veille à la prise en compte en amont des conséquences sur le plan humain de chaque scénario étudié. Aussi doit-il veiller à dissuader l'entreprise de faire des choix trop «court termistes», destructeurs de valeur sur le moyen et long terme. Il apparaà®t donc souvent comme l'homme du développement durable et le défenseur de la performance globale. Il intègre les dimensions économiques et sociales. Pour être reconnu comme partenaire stratégique, le DRH dispose d'outils d'audit et d'analyse stratégique. Il peut s'appuyer sur les contributions des audits sociaux. La démarche de l'audit apporte une meilleure connaissance des conditions de réussite des politiques mises en Å"uvre. Nombreuses sont aujourd'hui les missions sur des sujets à forts enjeux. A titre indicatif, on peut citer les systèmes de rémunération, les restructurations et plans sociaux, la gestion des carrières et la détection des potentiels, l'implication organisationnelle, la gestion des compétences et l'approche prévisionnelle, le management interculturel, la conformité légale, l'efficacité de la formation, les systèmes de motivation, la sécurité, la communication interne… L'auditeur social joue un rôle fondamental puisqu'il évalue, dégage les écarts et construit parfois les référentiels avec comme but de vérifier la conformité des pratiques de la GRH aux politiques et règles en vigueur et d'apprécier la cohérence et l'efficacité des procédures et outils mis en place ainsi que le fonctionnement des hommes au travail. Quelles sont les difficultés rencontrées dans l'exercice du métier ? Au Maroc, comme en Europe, bien que l'audit social soit méconnu par les managers à différents niveaux, et contrairement à ce qu'on peut imaginer, les groupes industriels même familiaux ne sont pas réfractaires aux pratiques de cette discipline. Quand la confiance est établie entre l'auditeur et l'organisation, et quand on arrive à mettre en relief l'intérêt que l'on peut tirer de l'audit social en tant qu'outil d'analyse et de réflexion, et en tant qu'outil au service du pilotage de l'organisation pour une organisation plus saine et plus performante, certaines entreprises souscrivent à la démarche et prescrivent la mission. En revanche, certains commanditaires de ces missions ne font pas la distinction entre mission de conseil et mission d'audit social alors que la différence est de taille, évidemment. Laquelle justement ? La plupart du temps, les missions d'audit social sont confiées à des cabinets financiers qui ne peuvent pas avoir des compétences dans un domaine qui interpelle une expertise particulière. Un auditeur social est par exemple supposé construire un référentiel en s'appuyant sur l'expérience qu'il a capitalisée et sur les best practices ; ce qui, encore une fois, suppose des compétences pointues, surtout dans des missions d'audits sociaux de pertinence ou d'efficacité. Aussi est-il temps, pour que le ministère de la Justice s'inscrive dans un registre de modernisation, d'intégrer les auditeurs sociaux en tant qu'experts habilités à mener des missions qui peuvent éclairer les juges du social sur des aspects relevant de la matière sociale puisqu'ils allient à la fois la connaissance du terrain et le savoir académique. L'avenir de cette discipline est prometteur car heureusement les exigences dans le domaine social sont au fil des années de plus en plus fortes, mais il est vrai par ailleurs que quand il s'agit d'un DRH prescripteur, les réticences sont parfois présentes car l'audit est généralement perçu comme un outil compromettant et déconsidérant. Mohammed emtil DG d'Espace RH et auditeur social certifié Il est temps que le ministère de la Justice intègre les auditeurs sociaux en tant qu'experts habilités à mener des missions pouvant éclairer les juges du social sur les aspects relevant de la matière sociale.